Ola
Sans compromis

Avec son album Reaper où ballades introspectives et liberté créative se rencontrent, l’artiste belgo-nigérian Ola dévoile un univers authentique. Avant de monter sur la scène du Botanique le 12 avril, il revient sur son parcours et sa musique dans un entretien, aussi sincère que sa musique.
Peux-tu nous parler de ton parcours musical et du chemin qui t’a mené à ce premier album ?
La musique a toujours été l’une de mes grandes passions. Plus jeune, je partageais cette passion avec le basket, et mon rêve était de devenir basketteur professionnel. J’ai même eu l’opportunité de partir aux États-Unis en rhéto pour tenter ma chance. Mais cette année au Texas a été très compliquée : j’étais loin de ma famille, dans un environnement complètement nouveau, et la musique est rapidement devenue mon refuge. C'était la seule chose qui me procurait une vraie joie constante.
Petit à petit, j’ai réalisé que la musique me rendait plus heureux que le basket. C’était un rêve qui me semblait impossible, mais j’ai eu envie d’essayer. De retour en Belgique, j’ai annoncé à mes parents que je voulais être musicien professionnel. J’ai intégré le Jazz Studio à Anvers pour apprendre la guitare – je n’avais alors que quelques bases trouvées sur YouTube. En parallèle, j’ai participé à The Voice Belgique, où je suis allé jusqu’en demi-finale. C’est là que j’ai rencontré des gens qui m’ont encadré et encouragé à envoyer mes morceaux à des labels. Peu après, j’ai signé avec Warner et tout s’est enchaîné assez vite. J’ai sorti un premier EP, My Favorite Mistakes, dont j’étais fier. C’était ma première vraie expérience en studio, entouré d’une équipe. J’ai beaucoup appris, autant sur moi-même que sur l’industrie musicale, avec ses bons et ses moins bons côtés. Ces dernières années ont été un vrai apprentissage. J’ai quitté Warner, changé d’entourage professionnel et pris du recul sur ce que je voulais vraiment.
Aujourd’hui, avec ce premier album, j’ai choisi de me lancer en totale indépendance. Quitte à ce que ma musique touche un public plus restreint, je préfère avoir une liberté totale et proposer un projet qui me ressemble, tant dans la composition que dans la production. Cet album, c’est moi, sans compromis.
Après ton passage en major, tu as choisi de prendre une direction plus indépendante. Qu’est-ce qui a motivé cette décision et qu’est-ce que cela change dans ta manière d’envisager la musique aujourd’hui ?
Ça change énormément de choses et c’est un questionnement continu. Être indépendant, c’est moins de ressources, mais une liberté totale. La vraie question est : « Qu’est-ce qui compte le plus pour moi ? Suis-je prêt à sacrifier une part de mon authenticité pour coller à une vision extérieure ? » D’un autre côté, je sais aussi que les regards extérieurs peuvent être précieux et t’amener vers des chemins que tu n’aurais pas envisagés. Après je ne ferme pas la porte aux labels à l’avenir, mais ce n’est pas la priorité. Aujourd’hui, je veux construire un projet avec des gens avec qui je ressens une vraie connexion, que ce soit un manager, une équipe de production ou même un label. Je me suis rendu compte que suivre une « stratégie » imposée ne me convenait pas. Maintenant, je mets l’authenticité avant tout, c’est ce qui guide mes choix.
Ton retour marque une vraie évolution musicale. Comment as-tu construit cette nouvelle identité sonore ?
Je crois que je suis toujours en train de me poser la question du genre de musique que j’ai envie de créer. Parfois, j’ai l’impression d’avoir trouvé la réponse : je me dis « ok, c’est ça que je veux faire », je me lance… et au final, je n’arrive pas exactement à atteindre ce que j’avais en tête. Et c’est justement ce processus qui façonne mon identité musicale. C’est pareil avec mes inspirations. À la fin de cet album, j’ai créé une playlist sur mon téléphone avec des morceaux qui m’inspirent pour la suite, parce que je pense déjà à l’après. Pas forcément dans l’idée de sortir quelque chose tout de suite, mais juste parce que créer en permanence, ça fait partie de moi. Et en deux semaines, ma vision du prochain projet a déjà évolué – pas à 180°, mais il y a toujours un mouvement, une progression.
Je ne me fixe jamais de cadre trop rigide. Ce qui fonctionne pour moi, c’est d’expérimenter et de voir si ça me parle. Si oui, je creuse. Sinon, je prends une autre direction. C’est exactement comme ça que s’est construit cet album. Je ne suis pas arrivé en disant : « Je veux un album à tel BPM, avec des guitares et des synthés. » J’ai exploré, et quand quelque chose me touchait, je l’ai suivi. Je l’ai réécouté ce matin pour la première fois depuis sa sortie, et honnêtement, j’en suis fier. Ce sont des chansons que j’ai commencé à composer il y a trois ans, et elles me parlent toujours aujourd’hui. Les choix de production, l’univers musical… je suis heureux de ce que j’ai construit. Et surtout, je sais que j’ai été honnête à chaque étape, que j’ai suivi mes envies et mes goûts. C’est ça, au final, qui compte le plus pour moi.

Reaper est sorti il y a quelques jours (félicitations !). Peux-tu nous en dire plus sur son ADN et le fil rouge de ce projet ?
L’album a évolué tout au long du processus. Au début, je voulais quelque chose de plus « organique » et moins produit, mais j’ai compris que l’important n’était pas la production en soi, mais comment elle sert l’émotion. En termes d’écriture, j’ai voulu être plus honnête. À 19 ans, on a tendance à voir les relations de façon binaire, avec un coupable et une victime. Aujourd’hui, à bientôt 26 ans, j’explore davantage les nuances, ça me semble important.
J’ai aussi assumé plus d’imperfections en production. J’ai gardé des prises vocales non retouchées parce qu’elles sonnaient plus sincères. J’ai enregistré l’album chez moi, et parfois, on entend des bruits de pas dans les prises – je les ai laissés, car ils font partie du moment. J’ai exploré, changé d’avis, jusqu’à ce que tout sonne juste.
Ce projet marque un tournant dans ta création musicale, avec une vraie envie d’expérimentation, notamment sur « In The Meantime » ou « Going Under », le featuring avec CHARLES. Quel a été le déclic pour te lancer et explorer ces nouvelles sonorités ?
« In The Meantime » a été un moment clé. Je bloquais sur la production, jusqu’à ce qu’Aleksandir, un ami et artiste talentueux, me propose de fusionner nos idées. Son univers plus électro a apporté une nouvelle dimension à ma musique. Ça m’a fait comprendre que je pouvais sortir de ma zone de confort et expérimenter librement. Avec CHARLES, c’était un peu le même état d’esprit. On s’est retrouvés en studio pour composer, juste avec l’envie de voir où nos univers respectifs pouvaient se rencontrer. Elle vient d’un monde musical assez différent du mien, et on a décidé d’expérimenter sans trop se fixer de règles. Ça a donné un morceau qui nous ressemble à tous les deux, et c’est exactement ce que j’aime dans la collaboration : découvrir des nouvelles directions que je n’aurais peut-être pas explorées seul.
As-tu un processus de création défini ? Comment se construit une chanson chez toi ?
En général, les idées me viennent dans des moments où je ne suis pas du tout en train de composer : quand je suis à vélo, en train de marcher, ou juste avant de m’endormir. J’essaie toujours de noter ou d’enregistrer ces fragments, que ce soit des mélodies, des bouts de phrases ou même juste une émotion. Même si je ne les utilise pas immédiatement, le simple fait de les sortir de mon système m’aide à m’en souvenir et à les retravailler plus tard.
Quand je me mets à composer, à la guitare ou au clavier, je tâtonne, j’expérimente, jusqu’à ce qu’une mélodie me marque. Parfois, j’ai déjà une ligne mélodique en tête et je cherche les accords qui lui correspondent ; d’autres fois, je pars d’une suite d’accords et je commence à chantonner dessus, en laissant les sons se transformer naturellement en mots. J’essaie toujours de me laisser guider par l’émotion avant tout. Si je chante des phrases qui n’ont aucun sens mais que je ressens quelque chose, je sais que je tiens une idée intéressante. À partir de là, j’essaie de tirer sur ce fil et de voir où il me mène. Une fois que la structure de la chanson commence à émerger, j’enregistre une première démo. Souvent, les paroles à ce stade sont encore floues, mais elles portent déjà une intention. Ensuite, j’affine en enlevant des couches, en creusant dans ce qui me semble juste, jusqu’à ce que la chanson prenne sa forme définitive.
Il y a des morceaux qui se construisent presque d’eux-mêmes en une heure, et d’autres qui demandent des semaines de travail. Là, par exemple, je viens de passer deux semaines sur un nouveau titre, en testant des dizaines de versions différentes sans trouver la bonne direction. Et puis ce matin, j’ai enfin eu le déclic. C’est hyper fluctuant, mais j’aime ce processus d’exploration.
Quel est ton morceau préféré sur Reaper et pourquoi ?
Il y en a plusieurs que je chéris pour des raisons différentes. J'adore « Stranger » pour sa narration et son approche plus nuancée d'une relation qui ne fonctionne pas. Les paroles et la mélodie me sont venues très rapidement, comme un poids qui s'est envolé, et c'est un de mes morceaux préférés en live. J'aime aussi « Where's The Fun in That? », composé en sachant que j'allais quitter mon label. J'adore les morceaux doux et silencieux, et cette fois, je me suis laissé porter sans chercher à plaire aux radios. Ironiquement, c'est celui qui a le plus de streams sur l’album. Quand tu es en indé, tu dois tout gérer, alors je garde un aussi œil là-dessus. Enfin, « In The Meantime » qui est très différent de ce que j’ai fait avant. J’aime vraiment cet album, c’était la première fois que je produisais ma musique, et j’ai adoré ce processus.
Et en ce moment, qu'est-ce que tu écoutes ?
Depuis sa sortie, l’album Two Star & the Dream Police de Mk.gee ne me quitte plus. « I Want » est devenu un de mes morceaux préférés de tous les temps. J’écoute aussi Endlessness de Nala Sinephro, un album de jazz ambiant. Je l’ai vue en concert récemment, c’était incroyable. Ces deux albums m’inspirent beaucoup pour la suite.

Ce 12 avril on pourra te retrouver au Botanique. Comment te prépares-tu pour ce live ? Que peut-on attendre de cette date ?
Je stresse (rires), parce que c’est ma première date en tête d’affiche, et au Botanique, dans ma salle préférée, la Rotonde. Le plus stressant, c’est de se demander si les gens vont venir, mais j’ai hâte. Depuis que je joue avec ce groupe, les concerts sont un vrai plaisir. Avant, je jouais seul ou avec une formation différente. Là, on est une famille, et c’est une vraie joie sur scène. Je suis aussi excité d’entendre les morceaux joués par le groupe, car j’ai enregistré la quasi-totalité de l’album seul.
Je dirais qu’on peut s’attendre à un bon moment, on prévoit quelques surprises : des nouveaux morceaux, des titres du premier EP réarrangés, des covers… Et puis, pouvoir créer un vrai show dans une salle, c’est génial. Sur scène, il y aura ma petite sœur Temilayo Polet aux chœurs, Léa Kadian à la basse, Samuel de Vleeschauwer à la batterie et Matéo Dellicour aux claviers.
Au-delà de cette date, comment envisages-tu la suite ? Des collaborations ou projets que tu aimerais explorer ?
J’ai plein d’idées et d’envies, mais après ces mois intenses autour de l’album, j’ai surtout envie de voir où il va, comment il vit une fois entre les mains du public. On a d’autres dates cet été, notamment aux Solidarités de Namur en août, et j’espère qu’on pourra jouer le plus possible. En parallèle, j’ai déjà composé plein de nouvelles musiques. J’ai commencé un projet avec des potes, plus orienté vers une musique alternative, qu’on dévoilera bientôt. J’ai aussi des collaborations en cours, notamment avec Zedie. Créer en continu m’aide à ne pas trop stresser sur l’accueil de l’album. Je n’ai pas d’attentes particulières en termes de buzz ou de chiffres. Pour moi, cet album marque un premier pas vers une direction musicale qui me parle vraiment. J’espère juste que plus on avancera, plus de gens nous rejoindront dans l’aventure. C’est tout ce que j'espère.