Une bête au Paradis de Cécile Coulon, paru en 2019, est une réelle prison sillonnée par des pulsions animales et émotionnelles, une étude pointue des rapports entre hommes et hommes, et une histoire paysanne des plus sordides.
Au Paradis, isolé de toute vie, Blanche est élevée avec son frère Gabriel par sa grand-mère Émilienne. Juste devant cette ferme, ses parents sont morts jeunes dans un accident de voiture. Alors que Louis, le commis familial, s’éprend de la jeune fille, elle rencontre Alexandre, un camarade qu’elle trouve plutôt charmant. Ils découvrent avec passion les joies de l’amour, jusqu’au jour où, diplômé, le garçon s’en va pour une classe de commerce en ville. Son retour après des années de séparation promet des rebondissements troublants.
Cécile Coulon est une écrivaine complète : romancière, poétesse, nouvelliste, etc. Cette expertise dans l’art littéraire lui confère sa technique travaillée et son style particulier. Elle plonge ses lecteurs dans l’univers qu’elle souhaite partager à l’aide d’une plume finement réfléchie, à coups de rythmes entraînants et de sonorités musicales.
Il est bestial, l’amour. Elles le sont même toutes, les amours. Louis dévore Blanche dans ses rêves et Blanche pleure Alexandre, quand Alexandre la quitte. Gabriel, quant à lui, se perd dans son existence et s’attriste de sa simple respiration. Il est réservé, isolé, renfermé, comme la ferme qui l’éduque. Mais il s’enamoure d’Aurore, seul cadeau véritable de sa vie qu’il considère comme tel. Et Émilienne, la doyenne, qui aime à vau-l’eau. Elle aime Blanche, qui s’est réfugiée dans ses bras à la mort de ses parents. Elle aime Gabriel, toutefois distant, fragilisé par son enfance douloureuse. Elle aime enfin le Paradis, sa terre qui l’a vue naître et la voit mourir et aimer.
Elle se nourrissait de ce qu’on lui laissait, passant après les autres, buvant après la soif des autres, s’étirant à l’infini entre les lieux du passé et ceux de l’avenir.
Le récit en lui-même est une analyse de la campagne et de ses vices. Le calme rural est animé par une nature hypocrite et traversé par la route meurtrière. Il est le cadre de relations humaines fidèles, tacites et tourmentées. Pesant dans le quotidien de fermiers, plutôt de fermières, il imbibe le rythme fragmenté des longues phrases et des chapitres courts et imprègne un passé morbide et un futur effrayant. Ce futur rêveur de prospérité est cependant menacé par la ville. Elle le ronge, le ternit et le détruit.
Un Paradis. Théâtre de la vie du personnage principal. Son nom révèle son piège : Blanche. Elle paraît innocente, juste amoureuse de son Paradis. Un ange authentique, une perle de la bonté, une avidité de candeur. Mais elle est enchaînée au Paradis, à ce lieu partagé entre son triste passé, son seul avenir et son éternel refuge. Elle semble incapable de s’affranchir de ce domaine qui lui ferme tant de portes, toutes ses velléités adolescentes, toutes ses pulsions fuyantes, tous les espoirs de futur radieux qu’elle n’éprouve pas. Elle est en fait accrochée à cet enfer dont elle est le diable, à manquer de ce qui ne lui manque pas, à dépendre de ce qui lui manque et à espérer ce de quoi elle dépend.
Le roman parle de départs. Et de retours. Des vies et des morts. Des morts et des souvenirs. Des souvenirs et des oublis. Le Paradis est un lieu accueillant comme un cimetière. Les répétitions martelantes insèrent des décors, puis les enterrent, puis les réitèrent. Le mot « bête » est le maître descripteur des rapports humains, des histoires difficiles, des psychologies torturées. Il est le guide du lecteur dans la découverte d’un monde inconnu, malaisant et animal. Il est le résumé d’une histoire lente, rapide et controversée entre le beau et le moche, entre le doux et le dur, entre la pudeur et l’impudeur. Ce bête mot, finalement, décrit tous les maux des bêtes.