Zoo to the Dub des Chengduans JahWahZoo et du Jamaïcain d’origine sino-européenne I Kong est sorti en catimini sur les plateformes de streaming en fin d’année passée. S’agissant d’une revisitation dub de l’album reggae originel Zoo to the Roots, un retour sur ce premier album à l’histoire exceptionnelle est clairement de mise.
Lors d’une expédition au Kalaallit Nunaat, un groupe karoonais de chercheurs en crème glacée s’est rendu aux abords du Gunnbjørn Fjeld. En extrayant une karoot (de glace, évidemment), il a rencontré un lapin qui leur a tendu, le pompon tout remuant et fébrile, un bout de scénario à propos de reggae chinois (visiblement composé avec les pieds, au vu du caractère approximatif de l’écriture manuscrite). Daté d’il y a deux ans, son auteur y explique dans la marge avoir choisi de passer de l’autre côté du miroir, sans davantage d’explications. Étant donné la sortie récente de la version dub de l’album qu’il critique, il a été jugé bon de rendre ce document public.
INT. Début de soirée. Salon du Karr’hoötel
Le rédacteur entre dans la pièce. Il ne prend même pas la peine d’ouvrir la porte. Il la défonce. Il n’a pas de temps à perdre avec des formalités physiques.
Le rédacteur emballé : Merveille des merveilles, j’ai découvert que la passionnante scène reggae chinoise nous a gratifié en cet août 2020 d’une collaboration entre JahWahZoo et I Kong : l’album Zoo To The Roots !
Le novice en la matière, plongé dans le dernier numéro papier de Karoo magazine, trois euros cinquante chez votre marchand de rêves :
Novice : Pourquoi donc cet état d’excitation ?
Le rédacteur dévoué : Parce que JahWahZoo est l’un des groupes les plus passionnants s’illustrant en Chine dans ce genre musical, avec une discographie d’un album sans aucun faux-pas qui mérite un milliard de fois de se pencher dessus.
Il s’assied dans le fauteuil en face du novice avec satisfaction et moult soupirs d’aise.
Ce groupe de Chengdu est l’une des têtes de pont d’une scène reggae chinoise qui ne cesse de s’étoffer et montre une véritable mutation du paysage musical du pays ainsi que, peut-être, un changement de mentalité qui s’opère parmi sa jeunesse. Tandis que jusqu’ici le discours dominant encourageait à se lancer dans une course effrénée à la croissance, le côté molletonné du reggae invite bien plus à réduire le tempo.
L’extatique rédacteur s’arrête un instant pour se servir un verre de Karoomonade citron et reprend.
Ensuite, parce que I Kong a accepté d’accompagner JahWahZoo. Pour qui ignore l’identité de cet artiste, il est le neveu de Leslie Kong, producteur originaire de Shanghai. Ce dernier s’est installé à Kingston. Il a lancé sa petite entreprise sur Orange Street (135 A, B et C, si l’adresse vous intéresse) et a fondé le Beverley’s, label qui a lancé un certain Bob Marley ainsi que Jimmy Cliff ! C’est tellement important que je prends la peine de parler en gras. Leslie Kong a joué un rôle essentiel dans la consolidation du genre. Il faut donc le dire : I Kong a baigné dans le cœur battant du reggae avant de s’y lancer. Cela dit, cette vocation ne coulait pourtant pas du tout de source. Ses parents étaient foncièrement contre sa carrière de musicien et les chanteurs chinois étaient loin d’être quelque chose d’habituel. Il lui fallut lutter pour trouver sa place. Enfin, parvenu malgré les embûches à réaliser ses rêves, il a été très actif dans les années soixante et septante, collaborant avec de nombreux artistes. Il faut noter sa participation au groupe The Jamaicans.
Le novice fictif : Alors, cela veut donc dire que l’histoire de la naissance du reggae a des affinités fortes avec la diaspora chinoise ?
Le rédacteur enthousiaste : Effectivement ! La Jamaïque est composée d’une importante communauté d’origine chinoise qui s’est investie dans le reggae. Faites donc un tour des enregistrements jamaïcains de la grande période des Marley, Cliff et autres, vous tomberez régulièrement sur des noms d’origine chinoise. Ce constat se renforce encore plus quand on revient sur ce que je viens de dire : le label Beverley’s a été fondé par un shanghaien qui a émigré en Jamaïque. Son apport est décisif, comme le Beverley’s a été un incubateur important pour la formation du genre en même temps qu’il en a permis le rayonnement international. Le reggae est donc non seulement l’expression du malaise vécu par les Jamaïcains d’origine africaine ainsi que leurs désirs de renouveau, mais il a aussi bénéficié, plus discrètement, de l’appui important de minorités chinoises.
Le novice pensif : Cela nous ramène donc au sens à apporter à cette collaboration.
Le rédacteur passionné, émotionné et approbateur : Effectivement, étant donné que l’alchimie produite par cette rencontre apporte une dimension extraordinaire à l’album. En collaborant avec JahWahZoo, I Kong les adoube. Il leur octroie légitimité et visibilité à nulle autre pareille. Plus encore, il tisse enfin un pont entre la Chine et sa diaspora. L’intérêt chinois pour le reggae a donc du sens, ne vient pas de nulle part. Il y a toute une histoire ! Quant à I Kong, il effectue ainsi une sorte de retour aux sources, du fait de ses origines chinoises côté paternel. Pour ces raisons, cet album est tout bonnement exceptionnel et même émouvant.
Le novice : … Mais Zoo to the roots est-il bon pour autant ?
Le rédacteur : Un délice qui installe immédiatement une atmosphère appelant au partage, à l’amour, à l’humanité.
Le novice : Rien que ça.
Le rédacteur : Et des compositions très bien pensées n’hésitant pas à ménager des bifurcations moins attendues en s’aidant d’une large palette de nuances musicales qui permet d’éviter les trop grandes redondances. Certes, l’ensemble est assez classique, ou devrais-je plutôt dire « roots », mais ce n’est absolument pas un problème comme la qualité y est. Je dirais aussi : c’est clairement voulu ! I Kong, qui regrette la perte de l’esprit reggae originel, a dû être aux anges en remarquant combien JahWahZoo ne lésinait pas d’efforts pour le retrouver.
Le rédacteur se penche pour prendre une gorgée de Karoomonade tout en formant un « deux » de sa main gauche pour signifier le moment de pause.
Mh ! L’album parvient à poser son univers et à le rendre suffisamment dense pour qu’on puisse y ralentir le rythme, enlever ses pantoufles, allonger les jambes pour installer les pieds sur le pouf et s’autoriser un moment hors-temps… Mais également, lors des passages plus rythmés, regagner vigueur et énergie pour la journée. Cette rencontre n’avait rien d’évident, étant donné que I Kong aime improviser tandis que JahWahZoo est plutôt adepte d’une planification en amont. Ensuite, rien d’évident non plus à cause des multiples difficultés dues au satané Covid qui est tombé sur le monde comme une chape de plomb ! J’espère que cela sera vite fini. Rien d’évident donc et pourtant la rencontre a accouché d’un superbe bébé en huit morceaux. J’en espère déjà une version dub plus adaptée pour une écoute un vendredi en fin de journée, afin d’accueillir au mieux le weekend et se délester du poids des épreuves de la semaine…
Le novice : Tout un programme ! Et on écoute ça où ?
Le rédacteur : Au Karroozel Festival ! Allée des rêves éveillés, troisième porte en partant de nulle part durant la cinquième semaine du treizième mois (ou juste sur Soundcloud , Spotify , Qobuz et autres, si vous n’avez pas le temps d’aller Nulle Part). Le deuxième jour du festival est consacré à la scène chinoise. Ils passent juste après Kawa et juste avant la soirée rock.
Le novice pas si novice que ça : Qui s’ouvrira avec P.K.14, si je ne me trompe pas.
Le rédacteur pas si expert que ça : Cela ne me dit à vrai dire pas grand-chose, je ne suis là que pour le reggae, mais je te crois sur parole.
Le ventre du novice gargouille. Il regarde sa montre. Elle affiche un peu plus de sept heures du soir.
Le novice affamé : N’est-il pas temps pour nous de nous sustenter ?
Le rédacteur : Tout à fait ! On se rend au Karoobidou ? Le menu du jour a l’air exceptionnel.
Le novice : Absolument ! Et ensuite on ira chercher quelques makaroos pour les partager avec l’équipe.
Bras dessus bras dessous, les deux comparses quittent la pièce. La caméra s’attarde tour à tour sur un verre où les traces des lèvres du rédacteur sont encore visibles, sur le creux laissé par le postérieur du rédacteur dans le fauteuil, sur un bloc de béton posé sur un reposoir en marbre de style gothique avec incrustations de gravures imitant le style de Braque, sur un cadre divisé en différentes sections se rapportant au carré du nombre d’or arrondi à la troisième virgule de la quadrature du cercle, sur le clignotement régulier du micro-onde qui n’a pas été réglé depuis la dernière coupure de courant malgré les rappels intempestifs du novice sur le réfrigérateur qu’on aperçoit depuis la porte ouverte de la cuisine et malgré les nombreux moments où il n’y a plus eu de moment faute de temporalité définitive sur laquelle s’appuyer fermement du coude et éviter de glisser dans une faille où la lumière du lampadaire antonionien viendrait rompre la fermeté de la distr……
Heureusement, le reste du scénario a pris l’eau et est illisible malgré tous les sèche-cheveux et ventilateurs tombés sur le champ de bataille.
Pour aller plus loin
Documentaire sur JahWahZoo (en)
Article sur l’implication de la diaspora chinoise au sein de la scène reggae (en)