critique &
création culturelle
Ema
Et le fruit de vos entrailles

Se préparer pour voir un film, faire la file, acheter un billet avec le titre écrit dessus et dont l’encre s’effacera petit à petit au fond d’une poche de veste où on aura oublié le ticket. 21h20, Salle 3, un film chilien : Ema de Pablo Larraín. C’est l’histoire d’une jeune danseuse mariée à un chorégraphe célèbre qui vit dans le remord d’avoir abandonné son fils adoptif.

Le couple d’Ema (une Marianna Di Girolamo envoûtante) et Gaston (Gaël Garcia Bernal d’ Amours chiennes et Carnets de voyage ) bat de l’aile malgré qu’ils soient encore amoureux. Ils se reprochent mutuellement d’avoir abandonné leur fils adoptif après qu’il ait brûlé le visage de sa tante. Le remord, la honte et le jugement social viennent à bout de leur mariage. Ema entame alors une longue descente aux enfers dans laquelle elle nous entraîne. On est happés dans le tourbillon interne de la jeune femme et la seule chose qu’on comprend au bout du compte, c’est qu’on s’y est noyé en même temps qu’elle.

Avec Ema , on retrouve une empreinte latine, un peu évaporée comme dans Julieta (Almodovar). Le film est tourné à Valparaiso, une ville portuaire du Chili au nord-ouest de Santiago, la capitale. Le panorama idyllique qu’elle offre sur la mer et les toits qui sont autant de rectangles dans la vallée, suffit à lui seul comme décor. Ses couleurs nous feraient presque humer l’air salé des vacances à la mer et entendre le tintement des verres et des couverts sur les nappes gorgées de soleil. Quand les couleurs sont artificelles, Pablo Larraín donne dans le fauvisme : du bleu, du mauve, du rouge électrique et mordant. Valparaiso est la vallée du Paradis. C’est pourtant au fond de ses enfers que nous entraine Ema, à force de jouer avec le feu au sens propre comme au figuré. Un feu qui l’obsède. Que veut-elle ? Que cherche-t-elle ? On ne le sait pas vraiment. Elle plait, elle séduit, elle dépèce, elle vampirise, détruit. Et les séquences de sexe cru s’enchaînent, pleine de l’extase et de la volupté déjà essoufflée à peine  la limite franchie. Ne reste que l’ennui expiré par les orgasmes successifs qui éclaboussent l’écran. Les corps sont des bouts de viande qui s’entassent comme dans une vitrine de boucher. À certains égards, Ema rappellerait le mystérieux invité de Théorème (Pasolini).

Que souhaite nous raconter Pablo Larraín ? Ema dit « Je suis le mal ». Le film explore les dessous de la maternité et questionne la filiation : peut-on rendre un enfant comme on irait échanger un appareil électroménager dysfonctionnel au magasin ? Que signifie « être parent » ? Ema pose même la question dérangeante du droit à être parent : qui peut le devenir ? Une question qui ne se pose que pour ceux pour qui ça ne se fait pas naturellement au gré d’un coït.

Même si la culpabilité pèse au départ sur le couple, au fur et à mesure du film, Ema semble la seule à porter le jugement et l’opprobre sociale. Sa quête en devient obsessionnelle : retrouver son fils. Par amour ? Par narcissisme ? Le spectateur est libre de se faire sa propre opinion. On a de nouveau sous les yeux le mythe de la mère (une des chorégraphies de Gaston a pour décor une forme ovoïde rouge sur fond mauve) et l’éternelle dichotomie entre une « bonne » mère et une mère indigne, assimilable à la catin désaxée. Et c’est dérangeant. À moins que le film se veuille une critique subtile de cette opposition insistante et de la société qui se pose encore en juge de la parenté, en pesant particulièrement sur les mères.

Même rédacteur·ice :

Ema

Réalisé par Pablo Larraín
Avec Mariana Di Girólamo , Gael García Bernal , Paola Giannini
Chili, 2020
102 minutes