critique &
création culturelle
Watchmen
Au delà d’un hommage

Watchmen nous propose une vision uchronique d’une Amérique gangrenée par des troubles toujours d’actualités. Pour autant, la série, bien loin d’une simple critique acerbe qui se perdrait dans le fond de son propos, n’oublie pas de nous happer par la force de son scénario, par l’écriture de ses personnages et par sa mise en scène soignée et inspirée.

Sortie en fin d’année 2019 , la série Watchmen est créée par Damon Lindelof, co-créateur notamment des séries Lost et The Leftovers . Aux dernières nouvelles, cette première saison sera la seule, Lindelof nous proposant neuf épisodes qui se suffisent à eux-mêmes, malgré une fin légèrement ouverte qui aurait pu laisser entendre l’éventualité d’une suite. Mais ne boudons pas notre plaisir, car l’histoire proposée demeure aboutie et bouclée magistralement.

Se situant 34 ans après les événements dépeints dans le comics éponyme d’Alan Moore et de Dave Gibbons, Watchmen nous embarque dans la ville de Tulsa aux côtés d’une galerie de personnages voilés de mystères. Le cadre est celui d’une Amérique contemporaine alternative, dans laquelle un groupe de blancs suprémacistes, la 7e Kavalerie , perpètre divers crimes. Suite à une de leurs attaques, à savoir l’assassinat coordonné de nombreux policiers de la ville, l’état a autorisé la police à masquer ses membres pour leur offrir l’anonymat dans le service de leurs fonctions. L’univers développé reprend ici les codes qui faisaient le comics, la question du masque se révélant importante pour le reste de l’intrigue. Angela Abar, l’un des personnages principaux, se dissimule ainsi sous la cagoule et la capuche de Sister Night , mais, bien qu’elle ait tout de l’apparence d’une justicière ou d’une superhéroïne, elle reste loin d’une incarnation épurée du bien. La série évite tout manichéisme et nous propose en effet des personnages en teinte de gris. Une partie du bonheur à regarder les épisodes se situe d’ailleurs dans cette envie de comprendre et cerner les différents personnages, et à se voir surpris par la révélation continuelle de leur nature.

La grande force de la série réside dans son écriture ; celles des personnages, comme tout juste expliqué, mais aussi une écriture qui arrive à dérouler son histoire de façon prenante. En effet, difficile de résumer l’intrigue de Watchmen sans trop en dévoiler, car sa force tient dans une structure ficelée de manière à nous intriguer, et qui dénoue petit à petit les différents mystères exposés. Aussi la richesse de l’univers, dévoilée au fur et à mesure des épisodes, abreuve la curiosité constante du spectateur. Le lecteur du comics y trouvera certainement de nombreuses références à l’œuvre originale, mais la création de Lindelof reste loin d’un simple hommage poussif rempli d’ easter eggs . La série réinvente le matériau de base et parvient à s’offrir sa propre voix tout en mélangeant des personnages connus du comics et de nouveaux protagonistes. Critique de la société américaine, Watchmen se plonge dans l’exploration de divers thèmes comme celui du racisme ou encore celui de la question du pouvoir, des sujets complexes qui sont abordés avec cette même nuance grisâtre qui caractérise les personnages et évite toute conclusion simpliste.

Mais au-delà de l’écriture, qui demeure l’âme incontestable de la série, les épisodes prennent vie grâce à une réalisation maîtrisée, des acteurs jouant leurs rôles à la perfection, ainsi qu’une musique de Trent Reznor et Atticus Ross qui appuie l’émotion des différentes scènes. D’ailleurs, l’épisode 6, réalisé par Stephen Williams, en nous présentant en noir et blanc les origines du justicier Red Hood au travers d’une succession de plans séquence pendant 1h, exemplifie parfaitement le haut niveau de la série en matière de mise en scène. Concernant les acteurs, mentionnons Regina King qui campe une Angela Abar à la fois forte et brisée, mais aussi Jeremy Irons dans le rôle d’Ozymandias, ou encore Tim Blake Nelson et son personnage de Wade Tillman, masqué en Looking Glass , et qui captive dès sa première apparition. Divers acteurs leur partagent bien entendu la scène, incarnant des personnages tout autant intrigants et fascinants : Jean Smart (en Laurie Blake ou Silk Spectre ), Yahya Abdul-Mateen II (Calvin « Cal » Abar), Don Johnson (Judd Crawford), ou encore Hong Chau (Lady Trieu) pour ne citer qu’eux.

La série Watchmen est une petite pépite qui allie de nombreux atouts. Une écriture soignée, une réalisation maîtrisée, des acteurs talentueux, difficile de trouver des défauts à la nouvelle création de Damon Lindelof. À l’apparition du générique de fin au dernier épisode, on se remet à peine de la claque que l’on s’est prise pour se rendre compte que c’est un chef-d’œuvre du petit écran que l’on vient de voir.

Même rédacteur·ice :

Watchmen – saison 1

De Damon Lindelof
Avec Regina King , Jean Smart , Jeremy Irons
USA, 2019
9 x 60 minutes

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