critique &
création culturelle
Sauvetage de rainettes
et mariage de Poutine avec une papaye : Petit traité d’écologie sauvage

Alessandro Pignocchi annonce avec son Petit traité une réflexion sur l’écologie. Il imagine une société occidentale où tout être et toute chose reçoit autant de respect qu’un être humain. Le ton décalé utilisé dans cette bande dessinée est intéressant, mais il diminue la portée politique du propos de l’auteur.

Petit traité d’écologie sauvage est une bande dessinée d’Alessandro Pignocchi, publiée chez Steinkis en 2017. Le monde dépeint dans cette BD est un monde à l’envers, un univers inverse au nôtre, dans le sens où l’animisme 1 du peuple d’Amazonie des Jivaros est devenu le mode de pensée dominant en Occident. En vrac : des hommes politiques qui ont une obsession nouvelle pour la sauvegarde des rainettes, et des occidentaux qui demandent le pardon des esprits pour avoir accidentellement tué un animal, laissant à la spiritualité une grande place dans leur vie.

Le titre annonce un « traité », c’est-à-dire un discours sérieux sur un sujet en particulier – en l’occurrence, l’écologie sauvage (« écologie » est à comprendre ici sous le sens d’« écosystème », et non comme mouvement de sauvegarde de la planète). Cependant, au lieu d’un texte argumentatif ou explicatif, on se trouve davantage en présence d’une suite de saynètes humoristiques ; la bande dessinée est en fait le recueil des meilleures chroniques tirées du blog de l’auteur, nommé Puntish . Ce genre d’agencement du récit en courts épisodes rappelle fortement un autre succès récent en bande dessinée, Zaï Zaï Zaï Zaï (2015) de Fabcaro . Les deux bandes dessinées partagent en effet beaucoup de similarités : en plus d’une construction du livre en différents épisodes, les deux BD ont un sens de l’humour assez semblable et plutôt absurde, un humour sous lequel se cache une seconde lecture plus politique. Zaï Zaï conte l’histoire d’un homme qui a oublié sa carte de fidélité au supermarché où il est venu faire ses courses. La caissière qui s’occupe de lui appelle un vigile, mais l’homme s’échappe : c’est le début d’une fuite qui prendra des proportions surréalistes. Dans Le petit traité d’écologie sauvage , les occidentaux adoptent le mode de pensée du peuple Jivaros, qui considèrent qu’animaux et végétaux ont la même vie intérieure que nous, êtres humains. La seule différence résidant dans notre aspect physique. Il en découle une éthique où l’on doit aux animaux et aux plantes, à tout être vivant et toute chose, autant de respect qu’à un être humain. Les deux BD traitent donc de thèmes à caractère politique : l’une tourne en dérision une société où l’on a le choix entre en faire partie ou être un hors-la-loi, et l’autre présente notre monde comme il serait si l’on adoptait la philosophie des indiens Jivaros. La BD de Pignocchi opère aussi un renversement du rapport Nord-Sud, puisque le mode de pensée des Jivaros domine le monde, mais aussi parce que ce sont des anthropologues de ce peuple qui viennent étudier les européens (et qui, au passage, font des observations assez erronées).

Dans le Petit traité , le burlesque est au premier abord très présent : le mélange d’hommes et de femmes politiques connus (Hollande, Merkel, Poutine) et de la pensée Jivaros (tout de même un peu exagérée) crée un ensemble assez surprenant. Hollande remet un bousier sur ses pattes avant d’aller à une réunion, Poutine se marie avec une papaye. C’est drôle, mais peut-être un peu trop folklorique. Aussi, pour des défenseurs de la cause écologique et animale, la pensée des Jivaros est tout à fait inspirante et se rapproche du concept de deep ecology ou « écologie profonde ». On peut se demander si l’humour est le bon angle pour traiter d’un sujet qui pourrait être appliqué avec sérieux à notre société et qui pourrait avoir des retombées positives pour l’environnement…

À mon sens, le plus intéressant dans cette bande dessinée, ce sont les épisodes qui concernent les diverses observations de l’anthropologue Jivaros qui tente d’étudier la population d’un petit village français et qui commet des erreurs monumentales d’interprétation de la vie quotidienne des villageois. Il prend par exemple un présentoir de cartes postales pour un totem célébrant les grandes étapes de nos vies (ce qu’il déduit à partir de ce qui est écrit sur les cartes : « aujourd’hui c’est ton anniversaire », « sincères condoléances », etc.). C’est humoristique, mais cela nous rappelle aussi à quel point le regard européocentré a pu donner lieu à des commentaires erronés à propos de cultures non-européennes.

Au bout du compte, on trouve dans ce Petit traité des réflexions plus ou moins intéressantes sur les relations Nord-Sud, mais l’on passera son tour si on attend de cette bande dessinée une réflexion profonde sur l’écologie, qui semblait pourtant être annoncée dans le titre.

Même rédacteur·ice :

Petit traité d’écologie sauvage

Texte et dessin d’ Alessandro Pignocchi
Steinkis, 2017
128 pages