Dans son second ouvrage Vivance , cet été, l’écrivain David Lopez a exploré la lenteur et la sensibilité, le voyage à vélo et les expériences incongrues des rencontres inattendues et des épreuves surprenantes.
Une mauvaise herbe entre deux plaques de bitume. Le soleil printanier chauffant les pommettes.
Voilà, sur la quatrième de couverture de Vivance , les premiers mots du résumé. J’ai délibérément choisi de n’introduire que celui-ci en tant que citations dans cet article car il ouvre un récit mystérieux, sans queue ni tête, avec pour simple référant sa colonne vertébrale. Celle-ci justement, et j’y reviendrai, n’est pas très claire et renforce donc cette sensation de mystères. Tout le long du livre, on sait certes d’où l’on part, mais il est difficile de comprendre réellement où l’on est emmené et par quels chemins.
À propos de chemins, Vivance décrit, à la première personne, l’histoire d’un anonyme vagabond, emporté par son vélo sur les routes rurales et montagnardes. Le titre, faisant fort écho à la vie, nommerait alors l’allégorie de la figure du marginal idéal, celui qui s’aventure dans l’inconnu, peu importe les écueils. Il rappelle notamment Arthur Rimbaud, qui a parcouru l’Europe à pied dans sa jeunesse, ou Christopher McCandless, dans Into the Wild de Jon Krakauer, qui a bien existé et a revendiqué son idéal en fuyant pour l’Alaska,. Paru en 2022, Vivance est postérieur de deux ans au premier confinement dû à la pandémie du Covid-19, et décrit peut-être aussi les velléités fugitives des auteurs actuels, comme Julien Blanc-Gras avec Envoyé un peu spécial en 2021 ou Sylvain Tesson avec L’Énergie vagabonde en 2020.
Marcher dans l’eau. S’entendre raconter une vie qui n’est pas la sienne. Être tenté de l’essayer pour voir ce qu’elle a de si désirable.
Un symbole qui m’a plutôt frappé dans Vivance est la relation du personnage principal avec… son chat Cassius ! D’une affection mutuelle sans borne, alors que l’homme est encore sédentaire, à une disparition soudaine du félin lors d’inondations, les retrouvailles seront frappantes, pleines de joies. Mais les souffrances de Cassius pousseront son maître à l’impensable quand il finit par l’étouffer pour les abréger. L’animal peut représenter beaucoup de choses, mais je retiens l’idée des angoisses : tandis que le narrateur fuit ses angoisses, et qu’il se les rappelle notamment en croisant un autre chat, il ne s’en sort qu’en les achevant quand elles sont déjà affaiblies.
L’absence de dialogue est un choix narratif important de la part de David Lopez. Bien que plusieurs personnages différents interviennent tout au long de l’histoire, l’entièreté du texte est constituée par les seules pensées du personnage principal. Il peut donc s’agir d’une sorte d’introspection, peut-être celle de la figure du marginal idéal, ou simplement l’étalement de souvenirs lyriques de l’auteur. Le titre des chapitres, qui fait à chaque fois référence à un détail central de ceux-ci, pourrait confirmer cette hypothèse : Vivance est un recueil fictif d’expériences, de rencontres, d’émotions, qui, d’une certaine façon, modèlent la vie.
Attendre. Déblayer un chemin. Trouver une clairière. S’asseoir. Choisir sa route. La tension dans les muscles. Faire la course.
Dans cette lignée, on peut parler de ce manquement névralgique, qui selon moi perd un pouvoir stylistique important : l’intrigue n’est pas claire. Pour être plus précis, une réelle intrigue, digne d’un roman classique constitué d’une problématique et d’un dénouement, n’advient que dans le dernier tiers du livre. Si l’auteur avait introduit tout au long de l’ouvrage un thème plus profond et plus explicite, comme un objectif de vie, un amour ou une douleur, il aurait pu valoriser l’impression introspective, justement. La décision de fluctuer de thème en thème, ponctuée de quelques rappels, ne suffit pas, bien que l'analogie avec le vagabondage soit pertinente. Une raison d’être ou de voyager aurait été un atout d’excellence.
Cependant, cette décision est motivée par une autre, davantage axée sur la narration. En effet, le genre dominant du roman est la description, et non pas la narration. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup les récits écrits selon ce principe, bien que certains soient rapidement lassants, car souvent trop lents. Mais ce n’est étonnamment pas le cas dans Vivance . Son aspect très poétique gagne en valeur grâce à son rythme. Beaucoup de détails parlants sont évoqués de manière si précise que l’on est facilement emporté dans le flux des pensées. La scène d’ouverture, à la sortie d’une douche, bien que longue pour les besoins narratifs, apporte directement une sensibilité réconfortante, qui sera au cœur de la vie de l’histoire.