critique &
création culturelle
Loco
Symbole de nos vertiges de vivre

Loco est la deuxième création théâtrale de la compagnie Belova-Iacobelli, formée de Natacha Belova et Teresita Iacobelli. Librement inspirée de la nouvelle russe de Nikolaï Gogol, Le Journal d’un Fou, cette pièce, présentant au départ de simples éléments de vie, sombre doucement dans la folie…

Les lumières s’éteignent, seule la pénombre nous entoure et ce, jusqu’à ce qu’un lit soit éclairé par des tons tamisés. Deux femmes discutent sur celui-ci alors que sous les draps, quelqu’un remue. Déjà, l’intranquillité apparait. Très vite, les voix de celles-ci se transforment en murmures intempestifs et c’est alors que le spectateur découvre qu’ils ne sont pas trois sur scène, mais un.

La représentation de Loco à laquelle j’ai assisté ce jeudi 21 octobre, à l’atelier théâtre Jean Vilar, m’a tout d’abord laissée perplexe. Poprichtchine, seul personnage de la pièce, incarné par une marionnette dirigée par deux comédiennes dont les corps et les voix se confondent, exprime très clairement une envie de s’élever socialement. « Simple copiste », comme il ne cesse de le répéter, il se prend notamment pour le roi d’Espagne à un moment précis de la pièce. Et puis, il y a son amour pour Sophie, la fille de son directeur, un sujet également récurrent dans son monologue.

Pourtant, expliquer cette pièce à travers ces deux sujets revient à la mésestimer puisque le spectateur rencontre avant tout l’intimité brute de cet homme : ses habitudes quotidiennes, ses fantasmes, son manque d’estime de soi, sa vitalité, mais aussi ses moments d’anxiété ou de solitude. Le lit, seul élément fixe du décor, renforce d’ailleurs ce sentiment d’intériorité, rappelant le sommeil, ce moment où on est seul avec soi-même.

Poprichtchine est un personnage particulièrement attachant : parfois amusant, souvent désespéré, à ce spectacle on rit comme on a le souffle coupé. Le spectateur, cherchant la signifiance, chute et, sans s’en rendre compte, partage de plus en plus la folie de cet homme. Les décors peuvent d’ailleurs être décrits comme un ensemble de nœuds qui s’emmêlent, soulignant cette folie. Les draps du lit se transforment en personnages, les copies jetées lors d’une scène deviennent des robes, etc. On passe sans cesse de l’un à l’autre et le regard n’a pas le temps de se lasser qu’une nouvelle donnée visuelle lui apparait. Ceux-ci sont avant tout épurés, sombres et de couleurs ternes telles que le brun ou le beige. L’esthétique de la pièce fait notamment penser à l’univers de Tim Burton où l’étrange devient un matériau à part entière. Il y a en tout cas une véritable richesse, certains éléments donnant même des impressions de 3D. C’est tout un imaginaire qui se dessine sur scène et dans l’esprit du spectateur.

Toutefois, l’atout de ce spectacle réside avant toute chose dans le fait que le vivant joue avec l’inerte. La plupart du temps, la marionnette est au centre de l’attention et les comédiennes en retrait : on ne distingue leur présence que par leurs jambes et leurs cheveux et celles-ci sont dénuées d’attributs. La marionnette a en revanche une esthétique forte, spécifiquement des traits de visage marqués, presque comme des formes de boues séchées, ce qui la rend très expressive. Les deux comédiennes cachées derrière celle-ci se présentent parfois comme des amies du personnage, elles l’emmènent par exemple dormir à plusieurs reprises quand celui-ci devient anxieux ou fou. À d’autres moments, elles symbolisent l’anxiété en chuchotant de manière oppressante à ses oreilles. Aussi, elles font avant tout partie de lui, elles soulignent ces ruminations, renforcent ses émotions : en agissant en concordance avec elle, c’est alors trois visages qui n’en jouent qu’un. De cette relation intime entre ces trois êtres, ressort de l’étrangeté, voire de l'effrayant.

Loco est une œuvre qui peut paraitre décousue, mais qui peut également devenir très juste s’il on s’autorise la folie. Les représentations à l'Atelier Théâtre Jean Vilar se sont terminées le 30 octobre, mais de nouvelles dates sont à préciser pour la saison 2021-2022 et ce, notamment à la Maison de la Culture de Tournai.

Même rédacteur·ice :

Loco

Mise en scène : Natacha Belova , Teresita Iacobelli

Auteur : Natacha Belova , Teresita Iacobelli

Avec Teresita Iacobelli , Marta Pereira

Chorégraphe, regard extérieur : Nicole Mossoux
Assistant dramaturgie, regard extérieur : Raven Rüell
Créateur lumières : Christian Halkin
Construction de marionnettes :  Loïc Nebreda
Créateur sonore : Simón González
Créatrice costumes : Jackye Fauconnier
Régisseur son : David de Four
Régisseur lumières : Gauthier Poirier

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