Entretien avec Noé Preszow
Avoir des choses à dire et tout mettre en œuvre pour se faire entendre, c’est le moteur de Noé Preszow, chanteur bruxellois venant tout juste de sortir son premier album et d’arpenter la scène des Victoires de la musique. Trois ans après sa première interview sur Karoo, on discute à tous les temps de son parcours dans la chanson française !
Noé Preszow, c’est un nom qu’on entend de plus en plus à la radio, un visage qu’on découvre à la télé, parmi les nommés aux dernières Victoires de la musique. Noé Preszow, c’est un auteur-compositeur-interprète bruxellois de 26 ans. Musicien depuis le plus jeune âge et après quelques années de galère auxquelles il tient à rendre hommage, il sort son premier album À nous sur le label Tôt ou Tard, sur les traces de Vianney ou Yael Naim, dans un sillon particulier creusé par Léo Ferré, Renaud, MC Solaar, Daft Punk et tant d’autres… Noé Preszow prend le risque d’une pop limpide qui entoure des textes profonds, le genre de chanson qui vous touche en plein cœur et réveille en vous des émotions insoupçonnables, poussant à l’introspection.
Comment tu vis cette période étrange pour les artistes ?
Je ne sais pas trop, toute cette histoire de confinement et de covid, ça arrive tellement en même temps que la sortie d’abord de la chanson puis de l’album… La période est dramatique et en même temps, moi, ce qui me manque vraiment, à titre personnel c’est de ne pas pouvoir prendre un train facilement et d’aller marcher, ça me manque de pas aller au café, d’écouter les histoires, de tendre l’oreille. Et puis le cinéma, vraiment, ça a été tellement important dans mon développement personnel que ça me manque hyper fort, mais après j’ai ce truc-là que moi tout en étant vagabond dans la ville, j’ai toujours été confiné dans ma façon de faire : je ne vais pas aux grandes fêtes, je ne vais pas là où « il faut aller » . Alors je continue à enregistrer mes trucs et à travailler. Ça change à la fois tout et rien. Simplement, pour moi, la mission de l’artiste, c’est de faire avec les vibrations du monde. Bien sûr que, même si je me suis fait entendre cette année, mille choses ont été empêchées. Bien sûr que j’ai complètement perdu le Nord, presque sans m’en rendre compte. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser aux artistes et technicienn.e.s, et à tous les êtres humains, d’ailleurs, qui ont été complètement fauchés et broyés par cette année chaotique. Ou, pour être plus précis : par toutes les injustices sociales et le manque global d’humanité que la Covid a mis en lumière. Même s’il a aussi mis en lumière la solidarité dont nous sommes encore capables. Pour ne pas stagner, mon désir de changer le monde n’a jamais été aussi intense qu’aujourd’hui.
La sortie de la chanson dont tu parlais, c’est « À nous » ? C’est vrai qu’elle résonne assez fort avec le confinement !
Oui, et sans être une chanson de confinement. Parce que j’ai écrit une autre chanson sur le confinement, vraiment au premier jour, un peu après la sortie de « À nous ». J’avais juste enregistré la maquette et puis je l’ai réenregistrée en studio, mais je ne l’ai pas mise sur le disque, parce que je trouvais ça trop proche de ce qui se passait. Je la sortirai un jour, mais je ne voulais pas que ce premier album soit un album de confinement. Ce qui est beau, c’est d’écrire un peu avant ou un peu après qu’il se passe quelque chose. Ce qui est émouvant, voire puissant, c’est toujours le léger décalage. Mais disons que, oui, puisque c’est une chanson qui parle de « désordre mais d’intransigeance », d’en finir avec les écrans et de « redevenir ami.e.s », de fuir ce qui nous détourne de nous-même et de l’humanité, elle a résonné de façon assez singulière dans cette période.
La première fois qu’on a parlé de toi sur Karoo c’était en 2018. Qu’est-ce qu’il s’est passé pour toi en 3 ans, dans les grandes lignes ?
Dans les grandes lignes, c’est que j’ai tout jeté – enfin, c’est pas vrai parce que je mets tout sur des disques durs, mais dans ma tête j’ai fait le tri et je me suis libéré de certaines contraintes et complexes musicaux. J’ai commencé à m’enregistrer dans ma chambre quand j’avais 13 ans. Vers 20 ans, on a monté un groupe et j ’avais l’impression que cette vie de groupe m’était nécessaire pour trouver une forme d’équilibre, mais je me suis un peu dépossédé de moi-même. C’était hyper intéressant de faire de la route, d’accumuler les joies et les galères en groupe. J’ai beaucoup appris. Mais j’ai eu besoin de me retrouver. Et j’ai écrit « À nous ».
Et t u as décidé de garder ton nom de famille.
Le sz et le w me ressemblent tellement. Il y a des raisons plus profondes aussi au fait de garder le nom : Noé, je trouvais ça trop léger, trop facile. Puis il y a la question familiale, on est très peu de Preszow sur cette terre. Sans m’embourber dans la question de la mémoire, je trouve ça assez fou de voir un Preszow aux Victoires de la Musique, parce que c’est chargé d’une certaine histoire.
Je me suis demandé si tu n’avais pas souligné la phonétique pour éviter qu’on écorche ton nom...
Si, je sais que c’est un nom qui est
a priori
imprononçable et que ça peut devenir usant quand tu ne sais pas comment le dire.
Mais je sais aussi qu’une fois que tu as capté, ça roule tout seul : Prèchof. Simple comme bonjour
!
Et ça t’a fait quoi cette nomination aux Victoires de la Musique ?
C’était agréable et intense !
J’étais très concentré, c’était la fin de l’album.
C’était tellement fou par rapport à mon trajet… Mais en même temps, est-ce qu’il était
si long, ce trajet
? Quand tu penses à Barbara, on n’imagine pas Barbara débarquer à 20 ans. On n’imagine pas Brassens ou Ferré débarquer à 20 ans et que ça marche tout de suite, ça n’aurait aucun sens. C’est nécessaire, on n’imagine pas ces artistes sans la galère. On ne rend jamais assez hommage aux années de galère.
C’est pour ça que j’ai mis la chanson
«
Les armes que j’ai »
sur l’album. Il faut rendre hommage à l’errance. Il faut beaucoup d’errances pour s’entendre penser, non ? Mais d’ailleurs, tou.te.s les artistes nommé.e.s cette année dans la catégorie « Révélation » faisaient déjà de la musique depuis un certain temps. On a toutes et tous plus ou moins le même âge. Et déjà des parcours de vie. Oui, c’était agréable et important pour moi de chanter cette chanson-là avec ces images-là derrière moi : les images de mes potes dans le clip de « Que tout s’danse ».
Ça doit être spécial de se dire je viens de là, je suis là et c’est que le début…
Oui c’est ça.
C’était forcément impossible de ne pas vivre les Victoires comme une revanche personnelle.
Mais, tu sais, je ne pourrai parler de reconnaissance et de satisfaction que le jour où j’aurai rempli des belles salles de concerts.
C’est sympa Paris ?
(rires)
Oui c’est sympa, Paris !
Enfin, je ne sais pas si « sympa » est le mot ! Je m’étais toujours dit que j’y habiterais un jour, et finalement je n’y habite pas.
Paris c’est
intéressant
pour l’étincelle et les petites piqûres de stress pour se réveiller un peu.
Et c’est beau !
Mais
Bruxelles est tourbillonnante et mordante aussi, mais plus tendre, plus proche. Et, comme tu sais, une ville ce n’est pas juste un nom, c’est le quartier qu’on habite, la vie que l’on mène, c’est une odeur, le rythme que l’on trouve, le gens que l’on rencontre. Donc, Bruxelles, Paris, etc., je ne sais plus. Pour l’instant, ma ville, c’est ma guitare.
C’était peut-être plus facile de partir à Paris, où tu connaissais moins de monde ?
Ce n’est jamais facile de quitter sa ville natale, surtout quand on a passé des années entières à la traverser dans tous les sens. Au contraire, c’est forcément un déchirement. Mais disons que c’est à Paris que j’ai fait les rencontres qui ont fait que nous sommes aujourd’hui en train de parler de cet album, toi et moi. C’est aussi simple que ça. Le reste, les détails, les allers, les retours, c’est ce qu’on appelle « la vie ». C’est tout.
Comment ça s’est passé pour entrer sur le label ?
C’est un secret ! Bon, allez, pour faire court : d’abord, j’ai enregistré une première version de À nous à Paris , J’ai appris à mettre mes économies dans l’enregistrement d’une seule chanson au lieu de 20. C’était hyper frustrant et en même temps je savais que c’était celle-là, j’étais sûr de moi. Les ingénieurs du son / producteurs avec qui j’avais travaillé ont fait écouter la chanson autour d’eux. Puis le jour où j’ai écrit « Les armes que j’ai », j’ai reçu un coup de fil de quelqu’un qui me disait « Tiens je crois que t’as rendez-vous la semaine prochaine dans des maisons de disque ». De fil en aiguille, j’ai décidé d’envoyer un mail au label « Tôt Ou Tard » et on s’est compris. Donc, pour entrer sur le label, j’ai envoyé un mail. C’est un peu comme dans les films, c’est arrivé tout d’un coup mais ça aurait pu ne jamais arriver.
Tes textes sont tellement personnels, une vraie mise à nu…ça ne doit pas être évident de se battre pour se faire entendre.
Certes. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, tout le monde est à nouveau en quête d’intimité. Et c’est parce que c’est une bataille que ça a de la valeur. En fait, pour te répondre sincèrement, je ne pense pas à tout ça, à ce qui est facile, à ce qui est difficile, à ce que veulent les uns, à ce que veulent les autres. Cette lumière sur mes chansons, ça arrive quand ça doit arriver. Le drame c’est que ça peut ne jamais arriver. La question de la reconnaissance existe dans tous les métiers et tellement de gens ont sombré parce que les choses n’arrivent pas… c’est ça qui est tragique. C’est le drame, la fragilité , la beauté de l’existence.
Alors le succès tu l’as cherché pour laisser des traces ?
Le mot « succès » ne fait pas vraiment partie de mon vocabulaire. Pas besoin du « succès » pour laisser des « traces ». Mais lorsque ces traces sont, disons simplement, entendues… oui, c’est une libération. Et c’est vrai que je crois à l’accumulation, à la quantité. Là, je pourrais sortir un EP par semaine, je pourrais être le Jul de la Chanson française !
(rires)
. Mais pour l’instant, je me retiens. Et, plus sérieusement, je veux prendre le temps de proposer des chansons qui me surprennent moi-même.
En 2018, tu avais dit que ton seul rêve, c’était de sortir un disque le jour de tes 20 ans. Quels sont tes rêves à 26 ans ?
J’espère en avoir sorti 3 d’ici mes 30 ans. Mes rêves à 26 ans sont les mêmes qu’il y a 6 ans : rester en vie grâce à mes chansons, et seulement grâce à ça.
Tu as dit aussi « il n’y a pas d’ego, ce qui compte ce n’est pas moi, c’est la chanson », en parlant du travail de groupe.
Je reste dans cette dynamique-là : il faut que le résultat soit bon. Le talent des réalisateurs, c’est d’avoir assez d’ego pour assumer ce qu’on fait, mais aussi se mettre un peu sur le côté et comprendre la personne qu’on a en face de soi. On s’est bien entendus avec les co-réalisateurs de l’album, Ziggy et Romain, parce qu’on est des fous de travail, on ne s’arrête jamais, et on respecte les
backgrounds
de chacun, il n’y a jamais personne pour faire la morale à l’autre. Bien sûr qu’on se marre et qu’on cause, mais on bavarde le moins possible. On m’interroge souvent sur mon côté « belge » en soulevant que je ne suis pas fantaisiste : chez moi, la belgitude se situe dans mon côté décomplexé musicalement , sans mettre de nom et d’étiquette sur ce que je fais. Les chansons de l’album qui passent à la radio, je les aime autant que les autres, elles ne sont pas moins écrites que les autres. « Cette route-là » est assez accessible, avec plusieurs grilles de lecture, mais pour moi c’est un des textes les plus importants que j’ai écrits.
Tu disais aussi que tu n’aimais pas le mot jouer et que tu avais du mal avec la notion de plaisir dans la création.
Eh bien, j’ai changé ! Ou, disons, je m’analyse mieux aujourd’hui qu’à l’époque. Le plaisir que j’ai à m’enregistrer est mon moteur quotidien.
Toujours en 2018, tu disais que tu n’aimais pas parler de maturité ; tu lui préférais l’idée de bouillonnement.
Ça, ça reste vrai.
Tu ne vois pas À nous comme l’album de la maturité ?
Ça dépend, si la maturité c’est quand les étoiles s’alignent et que l’on se rencontre soi-même, alors d’accord.
Mais à part ça, il faut à la fois que la chanson soit aboutie et à la fois enfantine.
Il y a aussi cette phrase qui m’a frappée dans l’interview q ue tu as donné à Karoo en 2018, Noé Gross, le journaliste, te disait : « Si le discours n’est pas la vie, si son temps n’est pas le nôtre, on chante les mots pour qu’ils nous disent, pour qu’ils chantent en retour nos vérités, nos marques, nos corps, nos mémoires, nos présents, nos futurs, pour qu’avant toutes choses ils se confondent avec nous, maintenant ». Ça te parle encore ?
Oui. Les mots vont au-delà de nous et du temps, c’est simplement ça que ça dit. Il y a le désir de s’ancrer dans le monde et la société par nos œuvres, mais on sait que nos paroles nous dépassent. La seule phrase qui m’a aidé ces trois dernières années,
c’est celle du cinéaste
Claudio Pazienza, qui m’a dit « il faut le vouloir et pas trop le vouloir » à propos de ce qui peut arriver, des chansons qui peuvent circuler ou pas.
Ça m’a aidé car à la fois elle libère et elle permet de jouer avec le temps. Cette phrase reste juste. De savoir qu’il existe quelque chose de plus fort que nous.
Et puis il y a cette phrase de Maurice Blanchot : « Si tu veux faire quelque chose, il faut déjà être en train de le faire ».
Oh, je ne sais plus. C’est trop douloureux pour moi d’éplucher ce que je disais dans le passé, je n’ai que 26 ans (rires) ! Et je n’ai plus relu Blanchot depuis. Mais ce que j’essayais de dire, et maladroitement, c’est que beaucoup de gens passent plus de temps à parler de ce qu’ils vont faire qu’à le faire. À 13 ans, tout m’est arrivé par hasard, parce que j’avais enregistré une chanson et que je lui avais donné comme titre le nom d’une fille que j’aimais bien à l’époque, et comme sur MSN on pouvait voir les musiques qu’on écoutait et que j’étais en train d’écouter ma propre chanson, une amie a vu « Noé Preszow tiret titre de la chanson » et m’a posé des questions. Et tout est parti de là, c’est comme ça que mes chansons se sont échappées de ma chambre, j’ai fait écouter mes chansons autour de moi et j’ai continué comme ça. Depuis, je n’ai jamais cessé de « faire ». C’est tout ce qui compte.
Moi, cette phrase, je l’ai prise dans le sens de « tu deviens ce que t’as mis en place ».
C’est complètement vrai. J’ai grandi avec l’idée que plus on fait, plus on fait. C’est ça qui fait que je ne m’arrête jamais, je rebondis tout le temps. Peut-être qu’un jour on arrête de rebondir. Sauf si t’es un kangourou.
Dernière question un peu symbolique, il s’écoute où, ton album ?
C’est à toi de me le dire ! J’aimerais te répondre : dans un train, la nuit. Mais je n’ai pas encore essayé.
En regardant mélancoliquement par la vitre ?
(rires) Je crois ! Ça marche toujours, tu peux tout écouter comme ça ! Comme mes chansons sont faites de trajets intérieurs, je pense qu’elles s’écoutent comme ça : dans le train, avec son sac à dos, les écouteurs, ou dans le bus.
Quand est-ce qu’on peut te voir sur scène ?
Le 2 décembre au Botanique pour commencer ! Et puis, j’irai jouer partout !