En 1945, l’auteur anglais George Orwell publie La Ferme des animaux . Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il analyse la révolution communiste échouée en Russie et la transpose en allégorie complète qui explique comment « certains sont plus égaux que d’autres ».
La Ferme des animaux de George Orwell est un classique de la littérature anglaise . Il décrit comment, d’une union populaire revendicatrice d’égalité, un peuple peut sombrer dans la dictature. Dans la ferme du Manoir, Sage l’Ancien, un vieux cochon respecté par tous, rend compte aux autres animaux de l’exploitation du fermier Jones dont ils sont victimes. Une fois la révolte entamée et le fermier chassé, Napoléon, un autre cochon charismatique, prend les rênes d’un pouvoir qu’il va lentement grignoter à l’aide de féroces chiens qu’il aura élevés pour asseoir avec violence son autorité sur la ferme « libérée ».
Le texte s’inspire de l’Histoire récente de l’époque, de la Russie révolutionnaire, dont il décrit l’évolution. Le fermier Jones représente le tsar, le cochon Napoléon incarne Staline et Sage l’Ancien Karl Marx. La Ferme des animaux est en fait une allégorie du communisme russe échoué. On part de la révolution quand les animaux reprennent possession de leur ferme, en passant par la Seconde Guerre mondiale quand l’humain Frederick interprète Hitler, pour arriver au début de la guerre froide quand Napoléon se cherche soudainement des alliés humains.
Le roman a pour titre Animal Farm dans sa version originale dont la traduction que j’ai lue a été rédigée par Jean Queval, en 1983, près de quarante ans après la première édition. La question de la traduction est cruciale pour Hervé Le Tellier, préfacier de l’édition Folio Classique de 2021, car les noms des animaux et les références purement britanniques sont parfois nécessaires à la compréhension optimale de l’allégorie. À noter enfin que La Ferme des animaux paraît quelques années avant 1984 , comme si elle préparait le succès dystopique d’Orwell.
Le pouvoir est un terme important dans le récit. Un jour, un ami m’a défini le pouvoir comme étant la division des droits par les devoirs. Pour faire simple, au plus un individu a de droits et au moins il a de devoirs, au plus il a de pouvoir. Et si cette explication simpliste omet la soumission d’autrui nécessaire à un pouvoir politique, elle est efficace pour comprendre comment les cochons s’en sont emparé petit-à-petit. À la moindre occasion d’évènements inhabituels, Napoléon transforme la réalité et trouve un moyen d’acquérir de nouveaux droits ou de déléguer ses devoirs aux autres animaux. Par exemple, lorsqu’une distillerie est installée dans la ferme pour vendre de la bière à l’extérieur, les cochons modifient subrepticement une règle qui interdisait les animaux de boire de l’alcool pour les y autoriser avec modération. Or seuls les cochons ont accès à la bière, et d’aucun ne surveille leur consommation. Ainsi ils s’arrogent le droit de s’enivrer en en privant les autres bêtes.
On eût dit qu’en quelque façon la ferme s’était enrichie sans rendre les animaux plus riches – hormis, assurément les cochons et les chiens.
Concernant la dictature des cochons, le travail en est le masque. Dans leur quête de pouvoir, ils asservissent leurs compagnons à un travail permanent et cadencé. Ces derniers sont chargés de construire un moulin sur une colline proche de la ferme pour extraire de l’électricité du mouvement des pales. Mais cette ambition semble irréaliste. Et bien que les animaux se démènent, le chantier est souvent ralenti voire même détruit par une malheureuse tempête ou le vandalisme de Boule de Neige, un cochon opposé à Napoléon mais qui aura vite été violemment chassé par celui-ci, comme l’assassinat de Trotsky orchestré par Staline en 1940. Autant comprendre que Napoléon utilise le travail comme arme de la dictature. Malabar, le zélé cheval en fera les frais : très investi dans l’effort commun pour l’ensemble de la ferme, il sera envoyé à l’abattoir quand il prendra conscience que son travail n’est qu’un moyen de l’occuper pour qu’il ne se rebelle pas contre la suprématie des cochons. Ce stratagème est particulièrement représentatif quand on pense à la politique belge notamment : rares sont les citoyens qui s’y investissent activement, en partie, car leur travail leur prend déjà une grande partie de leur temps.
Le bonheur le plus vrai, déclarait-il, réside dans le travail opiniâtre et l’existence frugale.
Enfin, George Orwell exploite énormément le langage dans sa fiction. En effet, l’éloquence de Brille-Babil, le cochon porte-parole de Napoléon, constitue un vrai enjeu de l’autorité. Détourner la vérité auprès de mémoires déjà entravées est une stratégie fallacieuse qui fait ses preuves. Par exemple, les moutons qui bêlent à longueur de journée sans comprendre ce qu’ils répètent sont une arme pour mitrailler la ferme des commandements des cochons. Contrôler des locuteurs, c’est contrôler leur vocabulaire. Les euphémismes et les hyperboles sont donc nombreux, utilisés fréquemment pour atténuer ou exagérer les événements à la guise du pouvoir qui en profite. Aujourd’hui, on peut relever les exemples suivants : collaborateurs pour employés (euphémisme), charges sociales pour cotisations solidaires (hyperbole) ou la défense pour l’armée (synecdoque, car l’armée attaque aussi). Dans une société qui accélère, où le but est moins d’informer que de convaincre directement, la flexion du langage permet d’effacer des réalités qui méritent plus de débat.