Relation je * tu
je * tu
Dans Relation d’Alexis Alvarez, « je » se souvient de « tu » ; une introspection poétique, rappel intempestif d’une rupture amoureuse, un rappel causé par le manque et la quotidienneté gravée de l’ancienne présence d’un ex.
Édité à l’Arbre à paroles, dans la collection iF, Relation rejoint dans ma bibliothèque croulante l’étagère des objets littéraires non identifiés. Un OLNI comme je les apprécie, qui s’exprime dans son propre carcan. Un truc à sa façon, façonné par les mains habiles d’un poète ; un truc qui cherche à dire, avec unicité, sans généralisation, ce que ça peut être d’avoir aimé, d’avoir été aimé, et finalement d’avoir perdu tout ça.
Désir et désamour démarrent pareil. Trois lettres durant, ça s’annonce bien. C’est après que ça se gâte, quand le désamour devient à l’amour ce que la désillusion est au rêve. On chantait. On déchante.
Alexis Alvarez offre ici un style ouvert à l’altérité, à l’invitation de l’espagnol dans le français, mais aussi à une bifurcation lexicale ; des mots nouveaux, en bordure du langage, qu’il suffit d’aller chercher (ainsi, il n’y a qu’un pas entre vie et dévie), et puis les images, métaphores et comparaisons, qui accèdent à cet à-côté, les flashbacks biaisés, tronqués, retravaillés par une parole poétique qui cherche à négocier tout un nœud d’émotions, entre chagrin, colère, frustration… et nostalgie, souvent.
Trouvère moderne, Alexis Alvarez s’inscrit dans son époque : stylistiquement, le texte est riche du présent, entre références aux réseaux sociaux, à la pop culture, ou encore au football, mais surtout, le texte est riche d’un influx à tenter. Bancalement, naïvement, magistralement. Tenter de mettre le doigt sur un souvenir, sur un détail qui voudra tout dire, et duquel pourra s’étendre l’interprétation. Un « je » lyrique imparfait, vrai, qui saute d’une pensée à l’autre par-dessus les « * » structurant le recueil.
Je retourne parfois voir ta terrasse sur Google EARTH. Je me revois étendu sur les carrelages, sous l’auvent vert. Dans ce décor de carton-pâte aux formes pixélisées, je traque ton fantôme, figé au détour d’un immeuble comme les spectres qui hantent les rues de GTA.
Comment qualifier le texte : un recueil d’observations poétiques, le récit poétique d’une rupture ? Si histoire il y a, elle est moins narrative qu’introspective. Au cœur (brisé) du texte, un duo relaté par un « je », jeune chercheur travaillant sur sa thèse. C’est ainsi par cette relation que la relation achevée se révèle en partie à nos yeux. Nul personnage n’est frontalement nommé. Par-ci un N.O. issu d’une réservation Ryanair pour désigner à un moment l’ex, le « tu » du « je », ou encore par là un tronco affectif en guise de surnom pour le « je », alors que le « tu » seras loco. Cette indéfinition n’est en réalité que de surface, car on baigne dans une intimité évocatrice, attachante. La trivialité donne ici chair à des êtres de papier, des corps désenlacés, que « je » ne cesse de relier, encore le temps d’une pensée, un simple objet rappelant un moment chéri, une frivolité, l’épiderme d’une peau qu’on ne peut plus toucher.
Longtemps, tu es resté le principe selon lequel je gouvernais ma vie. Le mot de passe de toutes mes applis, l’unique désir qui excitait mes veines. La tonalité dans laquelle s’écrivait la B.O. de chacune de mes actions.
Chagrin, acceptation, douleur. * Ressasser le film d’une relation. * Un programme chaotique, éclaté en moins d’une centaine de pages. * Fêlures qui s’apaisent et se chagrinent. * Dire, détourner, dire les choses. * Une lecture qui touche les cordes empathiques. Tout ça grâce à une simplicité sensible ; en réalité un masque de simplicité, camouflant la complexité d’un passage, une traversée sentimentale. * Et les ellipses et les non-dits que les lecteurices viendront combler de leurs propres bagages. *