Sophie Breyer
Comédienne au cœur de la Ruche
Cela faisait plusieurs fois qu’on l’apercevait à la table de terrasses de son quartier, en train de pianoter sur son ordinateur. C’est que Sophie Breyer affectionne la « vie de terrasses », particulièrement développée à Liège, sa ville d’origine, dit-elle. On s’est dit que c’était l’occasion de papoter ciné avec l’étoile montante du jeune cinéma belge, et notamment de son dernier film à l’affiche, La Ruche de Christophe Hermans.
Comment se fait-il que tu n’aies pas fait de formation poussée comme comédienne ?
Ce n’est pas arrivé clairement. Je voulais tester. Je faisais des cours de théâtre. Une fois, quelqu’un a ramené une caméra et on a fait des exercices. Et j’ai voulu pousser l’expérience. Cela démarre plus d’une curiosité, d’une envie, que d’une idée super limpide, super claire.
J’ai fait du théâtre comme on prend des cours de sport. J’ai été attirée par le fait de découvrir comment jouer devant une caméra, mais après j’ai continué mes études universitaires. Le cinéma, ce sont des expériences qui se sont mises en parallèle de mes études. Et ces expériences-là sont soit devenues plus fréquentes, soit plus conséquentes en termes de projets. Il y a eu pas mal de courts-métrages qui m’ont permis d’expérimenter beaucoup de choses, puis c’est parti sur des séries. Et le fait que cela se développe sur du temps plus long, cela devient une possibilité de métier, qui n’était pas consciente à l’origine. Jusqu’il y a peu, ce n’était toujours pas très clair. J’adore jouer, j’adore tourner, c’est mon boulot là maintenant ; et en même temps j’ai envie de faire d’autres choses sur le côté. En tout cas, ne pas attendre qu’on te désire pour un projet, trouver l’entre-deux, nourrir tous les à-côtés. Cela passe par de la conception de projets, de la médiation dans les écoles, par d’autres choses à la fois en lien et à la fois à côté, de la création, des ateliers.
Voire de la réalisation de longs métrages ?
En Belgique, souvent les personnes qui écrivent finissent par réaliser. Il y a souvent les deux casquettes. Là, ce qui m’intéresse le plus c’est l’écriture ou en tout cas la co-écriture. Je trouve que l’essence de tous les projets, ça part de là. J’aime encore bien relire des projets, pouvoir faire des retours constructifs. Donc ça va d’abord passer par l’écriture, avant peut-être un jour de passer à la réalisation. Mais il faut avoir l’envie de se lancer dans la réalisation, être super armée mentalement et puis il faut avoir un sujet, un propos à défendre sur le long terme, ce qui est en fait le cas aussi à l’écriture… Le processus d’écriture sur La Ruche a été assez long, comme pour beaucoup de longs métrages, qui nécessitent ce temps-là en écriture.
Et toi, tu étais déjà dans le projet ?
En fait, j’ai assez bien suivi l’écriture. J’avais déjà eu des expériences de tournage mais, avec Christophe, on était en lien via des stages, des ateliers. On se voyait régulièrement à Liège et lui était en écriture de ce projet. Il a lu La Ruche d’Arthur Loustalot. Il a commencé à écrire un premier traitement. Et quand il a eu un premier traitement qui lui parlait ou qui était plus stable, il m’a contactée avec sa productrice, Cassandre, de Frakas, et ils m’ont proposé le projet ; ils m’ont proposé le rôle de Marion et à partir de là, il y a eu beaucoup d’allers-retours au niveau de l’écriture. Il y avait déjà une continuité, mais il y avait des problèmes de structure. Ensuite, il a commencé à travailler avec Noémie Nicolas, sa coscénariste, et là moi j’étais beaucoup en second regard ou en relecture ; d’abord de traitement, puis, quand ils ont commencé à entrer dans les continuités, en relisant et en donnant un avis, en posant des questions aussi tout simplement ; que cela puisse être constructif aussi pour lui. Par exemple, j’ai suggéré que ce serait bien qu’Alice ait un projet et ils se sont inspirés de mes propositions. C’était la première fois que je suivais d’aussi près toutes les étapes d’écriture. Et cela joue… C’est assez fascinant. Parce que j’avais une fois rencontré Noémie et c’est presque mathématique ; en tout cas, dans la structure. Si on bouge une phrase dans une séquence, peut-être que vingt séquences plus loin cela a un impact.
Entre le temps pour Christophe de se lancer dans le projet, de lire Arthur Loustalot, etc., il s’est passé des années ; j’ai retrouvé des emails où on discutait de ce projet en 2015-2016, avec des premiers éléments concernant Marion.
Marion avait-elle un rôle aussi important dès le début ?
Ce n’est pas un rôle plus important. C’est une question de point de vue. Dès le début, Christophe voulait que l’histoire soit racontée du point de vue des enfants, pas du point de vue d’Alice. Puis c’était pour dissocier les personnages. En écriture, je crois que c’est une question qui s’était posée, de bien particulariser Claire et Marion qui, à un moment, étaient dans une même énergie. La question était de particulariser un point de vue. Pour moi, c’est celui des sœurs. On aurait très bien pu suivre Claire, qui est en fuite, par exemple, ou Louise qui sort de l’enfance.
Mais c’est quand même toi qu’on suit.
Oui, c’est ce point de vue-là mais je pense aussi que c’est le personnage qui se retrouve le plus coincé, le plus aveuglé, et je pense que Christophe voulait montrer cela. C’était pour mettre des zones de savoir, des prises de consciences différentes chez chacune des sœurs.
Cela aurait raconté chaque fois quelque chose de différent. Alors qu’à travers le regard de Marion, on découvre aussi le point de vue de Louise qui se rend compte d’une situation, qui est encore une enfant et perd son enfance ; le point de vue d’une Claire, pour le coup très creusé, qui est dans un besoin de vivre sa vie et de s’échapper, qui est beaucoup plus consciente d’un problème irrémédiable. Si Christophe a pris le point de vue de Marion, c’est pour la part de sacrifice, du personnage qui reste, qui pourrait demander de l’aide à son père mais qui ne le fait pas et qui emmène ses sœurs à travers ça. Une solidarité qui fait qu’on garde un secret à l’intérieur de la ruche. Ce qui était aussi intéressant, c’était l’ambiguïté d’aimer sa mère et d’en même temps la subir.
Il y a trois manières de réagir qui pourraient être le fait d’une même personne. C’est-à-dire qu’une Claire représentait peut-être un fantasme de tout claquer. Marion ne le fait pas. Ce voyage au Brésil, on ne sait même pas vraiment si elle peut le faire. Parce qu’il fallait rester.
N’était-ce pas gênant que ce soit inspiré d’une histoire personnelle ?
Si c’est inspiré d’un certain vécu, c’est aussi une fiction. Christophe voulait parler d’un rapport d’enfants avec une maman bipolaire. Il aurait pu faire un film plus proche de lui mais la fiction lui a permis de s’écarter de sa vie. On a tourné des choses propres à cette histoire-là. Ce n’était donc pas difficile comme engagement. C’était intéressant de suivre quelqu’un qui voulait aller au bout du propos et qui avait besoin de ce film. C’est plus de l’ordre de l’implication, de l’engagement. On a parlé de logiques internes aux personnages, des dynamiques entre personnages qui sont bien sûr liées à du vécu mais complètement décontextualisées. Je crois que quand tu racontes quelque chose d’intime, c’est sans doute pour toi-même mais aussi parce que c’est universel : que fait-on quand un parent est défaillant ? On peut d’ailleurs sortir du cas particulier de la bipolarité. Par définition, la plupart des familles sont dysfonctionnelles.
D’abord, il a cherché Claire. Il l’a trouvée directement. On a fait une espèce d’audition pas très classique avec Mara : on a passé une après-midi ensemble et à la fin de l’après-midi, c’était clair que c’était Mara. Ça matchait entre nous. Un an plus tard, on a rencontré Ludivine qui a dit, après avoir lu le scénario, qu’elle avait une fille de l’âge de Lou. Elles sont venues à Liège et on a fait une journée d’audition, qui n’était pas vraiment une audition mais plutôt une étape de travail et de rencontre dans le travail.
À propos du rôle de Ludivine Sagnier, c’est intéressant qu’il y ait aussi une place pour la souffrance de Ludivine.
Le film a été tourné dans le centre de Liège. Ils ont mis du temps à trouver et ont fini par trouver un lieu un peu fou. C’était aussi une volonté de se rapprocher d’un imaginaire qui venait du livre, j’imagine. Une des volontés était qu’il n’y ait pas d’intimité. Au départ, c’était des bureaux. Ça a été un gros travail de Damien Rondeau, le chef décors. L’avantage de cet appartement-là était la hauteur, puis un étage en dessous pour le matériel. Surtout, chaque pièce a au moins deux portes, on peut y entrer par plusieurs côtés, il n’y a vraiment pas d’intimité. Cette idée qu’à tout moment, tu ne sais pas par quelle porte ta sœur ou ta mère va entrer. Il y a vraiment eu un énorme travail de décoration.
C’était pratique car tu viens de Liège.
C’était vraiment à côté de mon université, à dix minutes de mon appartement. C’était bizarre de tourner à Liège. Je me demande si cela n’aurait pas été plus simple pour moi de pouvoir me déconnecter. Mais Liège est une ville que j’adore. Il y a une vie de terrasses à Liège qui est assez remarquable. Après 25 ans, j’avais néanmoins envie de voir autre chose. Je voulais découvrir Bruxelles, qui est une ville qui bouge beaucoup aussi.
Est-ce différent de tourner avec une actrice française comme Ludivine Sagnier ?
En termes d’expérience, Ludivine tourne depuis qu’elle a quinze ans, donc il y a un niveau qui est là et qui élève le reste, cela met une certaine exigence de jeu et de recherches. Maintenant, par exemple, Bonnie, sa fille qui n’avait jamais tourné avait elle aussi un niveau incroyable. Je pense que ce qui était surtout important pour Christophe, à l’origine du projet, c’était de trouver une comédienne capable d’être à la fois drôle, solaire et en même temps d’aller aussi dans la froideur et la quasi apathie avec ses filles. Quand on s’est rencontrées avec Mara, Bonnie et Ludivine, cela semblait assez clair que Ludivine allait faire le projet avec tout ce qu’elle pouvait donner. C’est vraiment une comédienne très généreuse.
Et c’est différent de tourner sur des films ou des séries ?
Chaque projet est différent, que ce soit une série ou un film. Tu peux avoir des séries très très exigeantes, d’autres où on va tourner plus vite, où on va viser une certaine efficacité et où il y aura moins de recherche dans le jeu. Cela peut être exactement la même chose sur des longs. Sur ce tournage-ci en particulier, l’exigence se situait au niveau du jeu. Tout était mis en place pour qu’on ait énormément de liberté dans le jeu.
Et en même temps, tout était écrit ?
Non, il y avait beaucoup d’improvisations ! Et beaucoup de ces scènes sont montées et se retrouvent dans le film. Par exemple, la séquence où Lou se brosse les dents avec Marion et où elles répètent les leçons de portugais, c’est une improvisation faite en vingt minutes. Ce n’était écrit nulle part. C’est juste qu’à un moment, on dit : « Bonnie, tu viens, tu vas te brosser les dents et puis vous allez avoir une conversation », et là c’est de l’improvisation. L’essayage des habits, pareil, c’est de l’impro.
Il y avait beaucoup de choses écrites mais je pense que c’était convenu avec l’équipe que, potentiellement, Christophe allait utiliser tous les moments creux pour continuer à tourner des choses. Vu qu’il y avait eu une grosse préparation entre nous, les comédiennes, et qu’on savait exactement comment réagir en tant que Claire, Marion, Alice ou Lou, c’était assez simple à mettre en place. Après, il fallait qu’il y ait une équipe technique assez flexible pour rebondir, parce que c’est très rare et que je pense que ce sont vraiment des questions de préparation. Un exemple : on tourne une séquence et il y avait des éclairages extérieurs qui se cassent la gueule à cause d’une tempête. On doit arrêter la séquence. Il faut tout remettre. Pendant ce temps-là, on se demande ce qu’on fait : est-ce qu’on reste quarante minutes comme cela ? Parce que ça risque de prendre un certain temps… Christophe demande alors à Ludivine de se mettre dans le salon, donc on change de pièce, son chef op’, Colin Lévêque, filme Alice dans le salon. Il y avait une lumière très sombre à cause de la tempête dehors. Et il me dit : « Maintenant, tu prends Alice dans tes bras ». Toutes ces choses-là, ce sont des choses qui n’ont pas été écrites en tant que telles.
Et une comédienne capable de porter ça !