Festival d’Annecy 2020
Adapté au format internet en à peine trois mois, le festival d’Annecy s’est déroulé en ligne du 15 au 30 juin. Contre vents et marées, il a rempli son rôle de plus important festival d’animation au monde. C’est le moment de revenir sur quelques courts-métrages qui m’ont marqué durant cette période.
La première édition en ligne du festival d’animation d’Annecy touche à sa fin et les prix ont d’ores et déjà été publiquement dévoilés . En parlant ici des courts-métrages les plus remarquables, je ne chercherai pas à coller tout à fait à leurs choix, mais à mettre en avant ceux qui m’ont le plus marqué. Parfois on est d’accord, parfois moins. Une chose est néanmoins claire après les avoir tous vus : quand on promeut des films d’Annecy, on ne promeut pas un bon film parmi une dizaine de médiocres. Non, on promeut un film extraordinaire parmi des dizaines de films tout aussi enthousiasmants. Et c’est ça tout le défi d’Annecy ! Pour cette raison, j’invite tout lecteur, toute lectrice, premièrement à considérer n’importe quel film que je cite comme étant à voir sans hésitation (y compris ceux qui vont suivre directement) et à continuer à voguer parmi les nombreux autres courts-métrages occultés. Il est d’ailleurs possible de trouver sur la page youtube du festival des interviews des réalisateurs et réalisatrices .
Globalement, les courts-métrages en compétition ont fait la part belle aux atmosphères sombres (le superbe Homeless home , emblématique de cette tendance), à la mise en scène d’esprits torturés voire en crise ( Podle Sylvie , Purpleboy , Prirodni Odabir , Yo , Ghost , Time o’ the signs , Schast’e , Rebooted , The Town , Kosmonaut , Moi, Barnabé ), aux explosions brutales d’énergie ( Black , No, I Don't Want to Dance ), aux pertes de repères et aux récits à tendance apocalyptique ( Machini , Wade , Något att minnas , Arka , Empty Places , Physique de la tristesse ).
Mais, face à toute l’obscurité qui appesantit la sélection, il ne faut pas oublier les œuvres plus ou moins expérimentales ( Black Loop , Algo-rhythm , Average happiness ), humoristiques, poétiques ( Rivages , Jù rén ), éducatives ( 3 Teaspoon of Sugar, My Better World ), musicales ( The Turning Point , les clips pour The Love de Lea Porcelain et Blow To The Head de Lightning Bolt ) ou celles qui s’adressent aux plus jeunes, le plus souvent d’un ton bienveillant mais sans naïveté. Ils apportent une autre touche, surtout par le biais des films étudiants, téléfilms et commandes, qui créent un moment de respiration avant de se frotter à nouveau aux poissons abyssaux.
Courts-métrages pour le jeune public (sélections télévision et jeune public)
C’est pourquoi, parmi les courts-métrages que je retiendrai, je commencerai en faisant honneur à une réalisation co-produite par la France et la Belgique à destination de la télévision : L’Odyssée de Choum . C’est l’histoire d’un bébé chouette qui est brutalement tirée de son nid pour trouver sa mère mystérieusement disparue. Les premières minutes tiennent du très grand art, même d’un cas d’école, autant dans l’enchaînement des événements, dans la manière de planter le décor, que dans le dessin, que dans le souci du détail. La suite est à l’avenant, comblant le spectateur et la spectatrice de scènes touchantes et d’une mignonnerie telle que le risque est grand de finir transformé-e en bisounours à la fin du film. Mais, mignon sans être guimauve, Choum conserve une pointe d’amertume et maintient intelligemment son équilibre afin de ne pas tomber dans la niaiserie. Ce faisant, je ne le conseille pas seulement à un jeune public, mais à des personnes de tout âge… à la condition de ne pas avoir le cœur trop endurci pour ce genre d’histoire.
Sur cette lancée, de nombreux autres courts destinés aux plus jeunes doivent être évoqués, tant la sélection dans cette catégorie est exceptionnelle. Je dirais même : au point de faire un peu d’ombre aux courts destinés aux plus grands. Toujours produit pour la télévision, il y a le savoureux Thé avec un tigre ( The Tiger Who Came To Tea ) , basé sur un classique du livre pour enfant écrit par Judith Kerr et sans surprise débarqué d’outre-manche. Une mère et sa fille invitent ce curieux visiteur alors qu’elles préparent un tea party à défaut de pouvoir se promener (parce qu’il pleut, sans aucune surprise là non plus).
Mais ce n’est pas tout, car il faut mentionner la majorité de la sélection « jeune public » des courts-métrages en compétition, où pratiquement tout a suscité chez moi l’émerveillement. Venu de Russie, il faut parler de Teplaya zvezda d’Anna Kuzina, petit bijou d’inventivité autour d’un oiseau qui nettoie les étoiles, perché au-dessus des nuages, jusqu’à ce que l’une d’elles se décroche. Toujours de Russie (très présente sur le festival), n’oublions pas Devochka-ptichka de Ekaterina Nevostrueva, tout en poésie et en élégance, à propos d’une jeune fille qui veut devenir un oiseau. Également, il faut parler de l’iranien Ghadameh Yazdahom ( The Eleventh Step ) de Maryam Kashkoolinia, aux premiers aspects un film sur un lionceau fugueur, aux seconds une magnifique réflexion autour de la conscience que chacun a de sa propre liberté. Aussi, il ne faut pas passer à côté Cinéma rex des Israéliens Eliran Peled et Mayan Engelman, lettre d’amour au cinéma autant qu’appel à la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Ou enfin, Matilda ir atsargin? Galva du Lituanien Ignas Meilunas, critique à l’égard du système scolaire et des parents trop soucieux que leurs enfants ramènent de bons points, le tout avec beaucoup de créativité et une pointe de fantaisie. Et j’en passe, puisqu’une dizaine de pages pourraient y être consacrées pour l’intelligence de leur propos (qui ne prend pas les enfants pour des idiots), leurs partis pris visuels et les émotions qu’ils véhiculent.
Sélections officielle et Off-Limits
Mais ce serait passer à côté des œuvres qui s’adressent aux plus grands, dont une d’un réalisateur belge néerlandophone qui mérite clairement qu’on se penche sur sa filmographie : Pieter Coudyzer. Pour moi, chacun de ses nouveaux films est un petit événement, tant il a un univers singulier qui est plaisant de retrouver.
De Passant n’y fait pas exception. J’étais venu avec des attentes démesurées et il a malgré tout réussi à ne pas me décevoir. C’est d’abord l’histoire d’un adolescent qui a rendez-vous avec une fille, sans aucun doute un rencard. Rien de particulier, à première vue. Mais Coudyzer transcende rapidement cette première base et le film gagne en maestria pour rappeler certains procédés antonioniens ou même hitchcockiens, sans les singer bêtement mais en captant juste ce qu’il faut pour l’enrichir sous tous ses aspects. Coudyzer le dit lui-même : il souhaitait obtenir un résultat faisant écho aux techniques plutôt employées dans des films en prise de vue réelle. Je n’en dirai rien de plus pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte. Pour moi, c’est très clairement l’un des meilleurs courts-métrages de cette édition et le meilleur de Coudyzer. Il parvient avec De passant à un sommet… que j’attends avec impatience voir dépassé par le suivant.
Mais, comme je ne suis pas uniquement là pour faire la promotion des talents belges, il est temps de faire un petit tour en Chine avec The Town, premier court-métrage aussi fascinant que dérangeant de Yifan Bao. Dans un univers dystopique qui rappelle la Chine maoïste plus que la Chine actuelle, il est nécessaire pour avoir une bonne place dans la société de se faire refaçonner le visage. Le moule est un masque standardisé de telle manière que tout le monde possède les mêmes traits. L’héroïne de cette histoire travaille dans une usine où ils sont fabriqués et aspire elle-même à passer sur la table d’opération. Bien évidemment, avec un tel pitch, le film tourne autour de la question de l’individualité dans une société extrêmement conformiste. Il explore la psyché, les désirs, les conflits intérieurs, jusqu’aux extrêmes limites. En cela, il fait en partie écho à la radicalité de Black , autre film chinois de la sélection, cette fois sur le problème des faux vaccins.
En parlant de pousser jusqu’aux dernières limites, Moi, Barnabé du canadien Jean-François Levesque raconte l’histoire d’un curé en pleine crise spirituelle en allant jusqu’au bout du bout de son idée. Le court-métrage prend des chemins vraiment surprenant en lorgnant vers le film d’horreur. Il ne s’agit pas ici de faciliter la tâche du spectateur ou de la spectatrice, mais de prendre des détours pour mieux le-la surprendre, l’interpeller. Moi, Barnabé appartient à la catégorie de ces films qui grattent, sur lesquels on souhaite revenir, qui déposent quelque chose de brut dans l’esprit de son public en lui laissant l’initiative de le peaufiner.
Les nombreux courts-métrages expérimentaux qui ponctuent la sélection mènent à pareil inconfort (le fameux syndrome de la barbe en-dessous ou au-dessus de la couverture du Capitaine Haddock). Deux courts jouant sur la déterritorialisation-reterritorialisation de matériaux extérieurs dans l’univers de l’animation sont exemplaires à ce niveau, à la fois pour la démarche et pour l’esthétique. Le premier est Collapsing Mies de Claudia Larcher, basé sur des photographies d’œuvres de l’architecte Mies van der Rohe. Le résultat est un enchevêtrement fascinant (et éprouvant pour nos cerveaux) d’espaces à la fois intérieurs et extérieurs les uns aux autres. Froid et très mental, il est à l’opposé du second qui s’évertue à donner chair à nos bons vieux tableaux Excel, voire à les charger d’érotisme. Ce pari un peu fou s’appelle Average Happiness et est signé Maja Gherig . Au-delà de l’aspect gag, il s’en dégage une certaine poésie et même un aspect critique à l’égard de l’abus de l’utilisation de tableaux tirés de leur contexte dans de nombreux domaines (politiques, médiatiques, etc.).
Et pour continuer au rayon poésie, j’ai vraiment envie de parler de Rivages de Sophie Racine. De noir et de blanc drapé, c’est un film léger, voire aérien. Tout s’y joue au niveau de la captation des rythmes et de la musicalité propre aux paysages bretons pour en imprégner le sens de la progression du court métrage. Il n’y a là-dedans pas beaucoup de prétention, voire un film qui semble tenir de l’évidence. Or, bien souvent, derrière ces impressions se cache le signe des plus grandes réussites.
Autre salle, autre ambiance, avant de parler brièvement des courts-métrages de la sélection « perspectives », je me dois d’évoquer, même si c’est un nouveau réalisateur de l’écurie Dreamworks aux commandes, To :Gerard . Il pourrait être également intitulé « ou quand Dreamworks se la joue Pixar » au vu de l’univers, de l’aspect visuel et de la thématique. Mais, malgré tout, il arrive pour moi à se montrer très touchant en apportant un petit plus à travers l’histoire d’un homme qui n’a pas pu réaliser son rêve de devenir magicien. Il en est de même pour Rebooted de Michael Shanks , un peu du déjà-vu également : un squelette qui fait sans succès de multiples castings après avoir été relégué au rebut du fait de l’avènement du numérique. Malgré tout, il a un certain cachet et mérite vraiment d’être vu pour ses nombreuses et excellentes idées.
Sélection « perspectives »
Les courts-métrages sous le label « perspectives » méritent également de se pencher sur quelques-uns d’entre eux. Hier oben, bei den weißen Göttern de Jalal Maghout est remarquable pour son choix de mettre en avant un sujet inhabituel : l’exploitation des travailleurs étrangers dans l’Allemagne de l’Est de la période soviétique. Luciano, jeune mozambicain, espérait y faire des études, mais il se voit relégué aux abattoirs. Très grinçant, noir et plein d’acuité, il met en évidence par métaphores interposées le regard qu’un africain peut avoir sur un Occident peu reluisant.
Pour représenter les films d’animation éducatifs, rien de mieux ensuite que de parler du sud-africain 3 Teaspoons of Sugar , de Tshepo et Kabelo Maaka, qui ont pour particularité d’être mère et fille. Tshepo Maaka est docteur et Kabelo Maaka spécialisée dans l’animation. Ensemble, face au manque de films éducatifs sud-africains satisfaisant à leurs yeux, elles décident de se lancer dans l’aventure. L’Afrique du Sud est un pays phare dans l’animation africaine et le prouve avec cette histoire portant sur les complications liées au diabète, maladie très problématique sur l’ensemble du continent. Sujet peu sexy mais ici traité à travers un court-métrage solidement construit, limpide et très bien réalisé (si on excepte l’animation peut-être un peu trop saccadée). En mettant en avant différents témoignages, il remplit parfaitement son rôle et on espère que ce projet se poursuivra.
Sur une île déserte avec les Films de fin d’étude d’Annecy 2020
Enfin, je terminerai en me posant la question : « Si je devais aller sur une île déserte avec trois films de la sélection films de fin d’étude d’Annecy 2020, lesquels choisirais-je ? » D’abord, je ferais un ulcère au vu de la tension que procure une telle question (les films de fin d’étude sont aussi qualitatifs que les autres), puis je me ressaisirais en clamant sans la moindre hésitation « À la mer poussière de Héloïse Ferlay ! », l’histoire d’un frère et d’une sœur qui doivent se débrouiller avec leur mère repliée sur ses soucis. Comme le dit très bien la réalisatrice , on y ressent des influences de films « live » dans la manière de raconter l’histoire… Et surtout l’influence des films d’Emma de Swaef et Marc James Roels ( Ce magnifique gâteau , Oh Willy… ) pour la matière avec laquelle sont confectionnées les poupées. Du début à la fin, c’est impeccable et tout en finesse, un film chaudement recommandable.
En deuzio, je dirais également Naked de Kirill Khachaturov. C’est sûrement l’un des courts-métrages les plus étranges, un film qui détourne les codes du film de super-héros pour en faire l’histoire d’un homme lambda qui a surtout l’air un peu fou, ainsi que l’histoire d’une magnifique rencontre que le réalisateur arrive à faire pleinement vivre à l’écran. La qualité de l’animation n’est pas folle, mais Naked dégage quelque chose d’unique qui fait pardonner tous ses éventuels égarements. Mention spéciale aux proportions inhabituelles des personnages, esthétiquement très réussis.
En tertio , pour retrouver le sourire lorsque ma robinsonnade en viendra à ses moments difficiles, je prendrai dans ma valise The Fox & The Pigeon de Michelle Chua, petite histoire pleine d’humour d’un renard et d’un pigeon qui se rebellent contre l’ordre des choses. C’est mignon tout plein, peut-être déjà vu, mais tellement bien fait que j’en redemande.
En guise de sélection spéciale, parce qu’il faut bien tricher un peu, je désigne Tête de linotte ! de Gaspar Chabaud, représentant de La Cambre, pour les moments où j’aurai la nostalgie du pays. J’étais déjà fan de Tutu , son précédent, et ce nouveau court-métrage montre une véritable progression avec un film plein d’idées et de fulgurances créatives.
Ceci conclut cette plus ou moins brève exploration de films d’animations brefs. Étant donné que ces courts-métrages apparaîtront forcément par-ci par-là, au vu du prestige qu’une telle sélection confère, je conseille vivement de rester à l’affût. Pour beaucoup, ils réapparaîtront sans nul doute, reste à savoir où et quand… Mais, il se murmure que zyeuter du côté de la vidéo à la demande d’Arte est une bonne piste.