critique &
création culturelle
La Sœur de Jésus-Christ
Un plaidoyer de la cause féminine

La Sœur de Jésus-Christ est actuellement joué au Théâtre de Poche , à Bruxelles. Traduite de l’italien et mise en scène par Georges Lini , l’œuvre se veut engagée et défend les droits des femmes, incarnés par son personnage principal, Maria, la sœur de Jésus-Christ.

La première chose assez curieuse, qui suscite l’attention, c’est que la pièce parle d’une femme et que son adaptation belge la métamorphose, la dramatise au travers de la gent masculine : un acteur, Félix Vannoorenberghe , diplômé de l’IAD en 2017. Et l’intention derrière ce choix, ce transfert de genres, est forte ‒ du moins c’est comme cela que je l’interprète et le détaillerai plus loin dans cet article.

La Sœur de Jésus-Christ est une pièce qui s’intègre facilement dans le carcan théâtral classique et répond au triptyque : une temporalité, un lieu et une action. Dans un village dans le sud de l’Italie, Maria, connue aussi sous le surnom de la Sœur de Jésus-Christ – car son frère ressemble au Christ et endosse ce rôle lors de procession de la Passion du Vendredi saint – s’empare d’un pistolet Smith et Wesson 9mm et quitte son domicile, l’arme à la main. Elle se rend chez Angelo, sa future victime, avec une seule idée en tête : appuyer sur la gâchette.

Dénoncer la violence misogyne

Si la pièce obéit bien au schéma classique d’une pièce de théâtre, le message, lui, est plus engagé, moderne, contemporain. En effet, il est question de dénoncer la violence dont sont victimes les femmes ainsi que le patriarcat encore fort prégnant dans les petits villages – trop empreints de traditions et de mœurs obsolètes. Maria a été violentée1 par Angelo et elle compte bien se venger. Elle est jeune, mineure, fougueuse. Elle s’habille peut-être un peu trop court pour certains villageois, un peu trop vulgaire pour d’autres, mais qu’importe, c’est elle qui tient le fusil.

Il faut battre en brèche ce patriarcat oppressant, et tous les personnages de la pièce finissent par l’accepter. Au début, ceux-ci s’empressent d’arrêter Maria, qui ne daigne leur adresser aucun regard, pas même un battement de cil, elle reste inflexible, inexorable, poursuivant sa trajectoire. Elle croise sa famille, son père, sa mère et même la mère d’Angelo qui essaye de la raisonner en excusant son fils. Mais elle s’arrête ensuite net. Elle réfléchit et redevient femme. Elle finit par partager le point de vue de Maria et ne s’opposera pas à la rencontre fatale de cette dernière avec son fils. Tous les personnages finissent par accepter la folie meurtrière de la jeune femme : finalement, elle n’est pas si hystérique que cela, elle défend ses droits. Libre à elle de s’affirmer. Tout le monde choisit de suivre de loin le déhanché assuré de la jeune fille qui se rend sur le lieu du drame qu’elle va commettre.

En ce sens, La Sœur de Jésus-Christ peut se définir comme une pièce féministe, et c’est donc là toute la force de l’adaptation belge, étant donné que c’est Félix Vannoorenberghe – seul acteur qui endosse tous les personnages sur scène — qui dénonce cela. Le message est marquant : un jeune homme, habillé d’une séduisante robe rouge – celle de Maria — s’en va tuer son bourreau qui lui a fait violence.

Un acteur, une musicienne et des habits flottants

Une autre spécificité de La Sœur de Jésus- Christ repose dans le jeu d’acteur. En effet, sur scène c’est un seul acteur qui incarne une pléthore de personnages : la grand-mère de Maria, son frère Jésus Christ, des ouvriers, le président du club de chasseurs, le garagiste, des bikers du coin, des policiers, un jeune enfant, des jeunes filles, des copines envieuses, etc. Le jeu de Félix Vannoorenberghe est remarquable à cet égard : le comédien endosse tous les rôles à la perfection. Comment ? Grâce à des habits libérés au compte-goutte, descendant du haut de la scène, pendus à des cintres, inertes.

Ils prennent vie lorsque Félix Vannoorenberghe s’en vêt pour incarner les différents protagonistes. Depuis le début, il porte la robe rouge ardente, celle de Maria, par-dessus laquelle il revêt les accoutrements des autres personnages, les reposant ensuite sur leurs cintres respectifs. Par ailleurs, ces habits restent toujours en arrière-plan et participent d’une véritable mimétique de ce que le comédien récite dans sa tirade : il explique que tous les habitants du village observent Maria de loin, la suivent du regard, restant à l’arrière-plan. C’est exactement le rôle que remplissent ces costumes sur les cintres, tous témoins de la scène.

Véritable vestiaire ambulant, ces moments de changements de costume sont l’occasion d’interludes musicaux ; des sons joués au violoncelle, au piano, à l’accordéon par Florence Sauveur, la musicienne qui accompagne Félix sur scène, à droite dans une sorte de pénombre colorée.

Tout au long de la pièce de théâtre, la musicienne accompagne le comédien, occupe une place secondaire, mais au fur et à mesure que le dénouement se prépare, elle prend de plus en plus de place sur scène. Sa musique donne un autre ton à la pièce, plus solennel, plus sérieux, plus dénonciateur. C’est Florence Sauveur qui clôture la pièce - en chantant, une voix forte, prenante et encore plus remplie de sens quand on sait que le message général de la pièce se veut anti-patriarcal.

Un véritable one-man-show

En outre, pour imiter les personnages, l’acteur passe par toutes les tonalités de voix et continue à réciter des tirades théâtrales, bien écrites, dignes d’une belle littérature. Le débit du comédien était rapide et témoignait d’une maîtrise parfaite de son texte. Ce qui autorise plus de libertés : le comédien alternant quelques fois ses tirade avec des jurons et un langage plus familier, ce qui prête à sourire et intègre le spectateur dans la pièce. Un véritable one-man-show .

Enfin, en plus des habits en mouvement sur leurs cintres, tous azimuts sur la scène, il y a, en toile de fond, à plusieurs reprises, lorsque l’acteur se change ou reprend un moment son souffle, des citations et autres assertions qui  sont projetées sur un fond noir.

Toutes ont un point commun et appartiennent au champ lexical de la guerre, de la stratégie guerrière. Elles prennent toutes l’air de conseil, de maxime, s’apparentant à la ruse, au savoir-faire pour mener au mieux le combat. Il s’agit d’ailleurs de citations toutes extraites de l’Art de la guerre de Sun Tzu. « Quand tu dois tirer, tire, cause pas ! » (Sergio Leone) retrouve-t-on par exemple dans le synopsis de la pièce.

Cette ambiance combative participe à cette volonté de dénoncer la violence des hommes ainsi que le patriarcat, La Sœur de Jésus Christ se faisant le plaidoyer de la cause féminine. Et puis finalement, ce n’est pas de Jésus dont la pièce parle mais bien de sa sœur, de la femme. Ave Maria !

Même rédacteur·ice :

La Sœur de Jésus-Christ

Écrit par Oscar de Summa
Mise en scène par Georges Lini
Avec Félix Vannoorenberghe
Musique et composition musicale par Florence Sauveur
Scénographie et costumes : Charly Kleinermann et Thibaut De Coster
Création lumière : Jérôme Dejean

Vu au Théâtre de Poche (Bruxelles), le 16 mai 2023.