Fancy Dance de Erica Tremblay
Sur la route du deuil
Premier long-métrage de fiction de la réalisatrice amérindienne Erica Tremblay, Fancy Dance est un film centré sur un duo féminin qui doit faire face à la disparition de leur sœur et mère. Portrait de deux femmes qui prennent la route du deuil entre ombre et lumière dans une Amérique qui continue de fermer les yeux sur le destin des Amérindiens.
Si vous avez vu Lily Gladstone dans le rôle de la très composée Mollie Kyle, membre d’une riche famille Osage qui se fait décimer par des blancs avides d’argent et de pouvoir dans Killers of The Flower Moon de Scorsese1, il est presque irrésistible d’aller au cinéma pour faire une petite étude comparée avec le nouveau film dans lequel elle joue, Fancy Dance, premier long-métrage de fiction de la réalisatrice Erica Tremblay, qui se déroule dans la réserve indienne Seneca-Cayuga, dont la réalisatrice est elle-même originaire.
Fancy Dance n’est pas un film de danse, même si tout le film tend vers un évènement, le pow-wow2, pour lequel Roki (Isabel Deroy-Olson) et sa mère Tawi se préparent chaque année. C’est sans compter la disparition de Tawi, qui ne laisse aucune trace à quelques jours de l’évènement tant attendu. La sœur de celle-ci, Jax (Lily Gladstone), a l’habitude de s’occuper de sa nièce adolescente lorsque sa mère disparaît, et la prépare pour le pow-wow tout en enquêtant elle-même sur la disparition de sa sœur. Les autorités fédérales ne prenant pas au sérieux le signalement, Jax est obligée de prendre des risques pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur. En parallèle, les autorités, qui ne se soucient guère de la disparition de Tawi, s’inquiètent au contraire que Roki soit gardée par sa tante, dans la réserve, dans sa communauté, et préfèrent la placer chez son grand-père blanc, qu’elle connait à peine.
Fancy Dance n’est pas un policier, malgré l’enquête, malgré la disparition qui est à la base de son récit. Ce n’est pas non plus un film à suspense : plus le récit avance, plus on comprend que ça ne tourne pas à l’escalade d’événements coup de poing. Mais c’est un film centré sur l’alchimie de son duo féminin. Même si Tremblay aborde des sujets lourds (deuil, traumas de la communauté amérindienne), le duo tante-nièce les transcende par leur connivence, entre tendresse, espièglerie et humour. La scène d’ouverture nous montre justement qu’on essaie peut-être de nous tromper : alors qu’on croit au départ que Jax se baigne simplement dans la rivière, la caméra se tourne pour voir Roki qui vole les clés de voiture du pêcheur qui regarde Jax se baigner, tout envoûté.
Fancy Dance n’a pas grand chose en commun avec Killers of The Flower Moon, même si à voir ces deux films, on peut se dire que ce qui était vrai au début du XXe siècle, lorsque les autorités ne se souciaient guère du sort des Amérindiens, est toujours dépeint dans Fancy Dance : les deux personnages principaux doivent se battre pour garder un semblant de famille, et leurs traditions. Les deux films font également le choix de l’actrice Lily Gladstone, qui impose le respect dans son rôle chez Scorsese, et ici aussi, avec un rôle queer, un look tomboy et une attitude très frontale, tout en étant impressionante de naturel.
Le film oscille entre légèreté (cf. la première scène), Jax essayant de préserver Roki de ce qu’elle découvre petit à petit sur la disparition de Tawi, et des moments plus sombres ; la caméra filme les grandes baraques américaines le long des routes que prennent Jax et Roki, sur le son solennel, voir un peu sinistre, de chants traditionnels. La dernière scène (que je vous laisse découvrir) touche exactement là où il faut et clôture parfaitement le film.
Fancy Dance offre une approche que je préfère au cinéma : des films qui sans long discours réussissent à contenir tout un monde complexe, et qui peuvent nous captiver sans sensationnalisme ; où le clair-obscur suffit pour nous projeter dans un univers.