La vie est à nous de Hadrien Klent
Un « nous » qui pose question
Suite de Paresse pour tous, le nouveau roman d’Hadrien Klent nous replonge dans le projet audacieux d’un candidat aux présidentielles françaises : Émilien Long. La vie est à nous raconte l’application de son programme, entre succès et embûches en carton.
Émilien Long a remporté l’élection présidentielle ! Trois ans plus tard, on le retrouve à la tête de la France, à appliquer le programme qu’il avait promis. Il doit toutefois faire face à la fureur d’une opposition encore hostile à la réduction du travail à quinze heures seulement par semaine. Bien que l’auteur Hadrien Klent avait déjà étayé ses idées dans Paresse pour tous, sorti en 2021, ma déception face à La vie est à nous se résume ainsi : il s’adresse à un public qu’il considère conquis, dans la présentation d’une douce utopie dont les obstacles sont aisément surmontés.
« Ne plus vouloir plus, vouloir mieux. […] C’est toujours se libérer, se libérer de la consommation, de la surconsommation évidemment mais aussi de la consommation symbolique, ce besoin irrépressible qu’a l’être humain d’accumuler des objets parce qu’on lui fait croire que c’est utile. »
Mais d’abord un point positif : la construction du roman ne déroge pas à l’originalité de Paresse pour tous. On n’est pas dans un tract propagandiste ou dans un traité théorique qui auraient pu attiser des critiques sur le but de la publication. Au lieu de ça, l’auteur nous embarque dans un récit fictif, mais encadré par l’ici et maintenant. Il s’amuse encore avec de nombreuses métalepses1. La vie est à nous est aussi le titre d’un film qui inspire Émilien Long pour écrire le deuxième volume de sa biographie. On comprend à quel point Hadrien Klent s’efface derrière ses personnages… et son combat ! La preuve indéniable d’un engagement dévoué.
Ce nouveau roman présente un travail linguistique très riche. En effet, le président le répète : « Les mots, c’est crucial ». Il institue quelques néologismes pour mieux pointer ce qu’il veut vraiment dire, et notamment le terme « coliberté ». Celui-ci désigne l’idée que le système qu’il instaure défend la liberté de chaque individu tout en préservant l’intérêt général. Les Français deviennent alors « colibres ». À travers cette verve, on peut tout de même s’interroger sur la récurrence d’euphémismes, comme la « postarchie » (après le pouvoir) pour parler d’anarchie (sans pouvoir), ou d’hyperboles comme « décalés » qui qualifie ceux qui travaillent plus que quinze heures par semaine.
« Que dire ? Répondre, vraiment, faire l’effort de répondre à cet argument foireux, grotesque, pénible ? Ce serait comme dire à quelqu’un malade de la peste que le cancer c’est mieux […] »
En revanche, les incohérences qui jalonnent l’histoire décrédibilisent le talent de l’auteur. Si Paresse pour tous assumait pleinement certains paradoxes qui alimentaient les réflexions du candidat, par exemple le labeur de l’équipe pour promulguer la fin du labeur, La vie est à nous semble ignorer ses paradoxes, en en faisant plutôt des maladresses… mais des fameuses. Émilien Long défend le collectivisme mais parle énormément de lui-même. Souleymane critique le racisme qu’il endure pour être un ministre des affaires étrangères noir mais va expliquer au monde entier, à la manière d’un néocolonialisme idéologique, que la France fait mieux que quiconque. Enfin, la politique du gouvernement est qualifiée de « dictature écolo-bobo », car elle se dessine autour d’une écologie « bonne conscience », alors que le marxisme se bat contre la bourgeoisie.
« Comme les pesticides, comme le plastique partout : ce n’est pas un truc de bobo que de dire ça. On n’est pas des bourgeois déconnectés, on cherche simplement à faire les choses dans le bon sens […] »
Et plus globalement, si le communisme était la base des propositions d’Émilien Long, il s’en détourne, et va à l’encontre de la méthode révolutionnaire et d’une réorganisation anarchiste du pouvoir qui en résulterait. Il explique que « pour qu’une société évolue, il faut un cadre politique ». On est moins dans l’argumentation, dans la présentation d’un monde qui ne tourne plus comme il devrait, que dans une utopie doucereuse. Le roman se transforme alors en apologie d’un modèle que partage l’auteur et son public visé, avec des positions très fermes, et peu ouvertes au débat.
« Alors les voix hésitantes vont-elles glisser vers l’abîme ou vers la lumière ? »
Le message noble de La vie est à nous est tristement appauvri par une conviction supposée acquise ; il parle d’abord à quelqu’un avant de parler de quelque chose !