Sauvez Bâtard
L'amour est-il encore possible dans le futur ?
Le théâtre Varia, en coproduction avec le Théâtre de Liège, nous plonge dans un monde de science-fiction queer avec Sauvez Bâtard, là où l’amour se traduit par le sexe, et la douceur par la violence. Dans sa première mise en scène, Thymios Fountas entreprend de répondre à cette question : « Comment s’aimer quand l’horizon s’effondre ? »
Sauvez Bâtard nous embarque dans un monde futur où le ciel s’est effondré. À l’entrée de la salle, un personnage gît, couché sur le devant de la scène. Une fois la scène d’exposition passée, entrent « les ratés », trois personnages aux allures étranges et aux noms non moins absurdes : Clébard, Cafard et Clochard.
Soudain un corps tombe du plafond, et Bâtard, le personnage principal de la pièce, au caractère revendicatif qui rappelle ceux de Virginie Despentes dans Baise moi, est accusé de meurtre. Son procès est entamé, mais s’interrompt rapidement, aussitôt que Bâtard plaide coupable. Comme il est poète, il possède des « super-pouvoirs » comme le dit Thymios Fountas : il procède à des « trouées » dans le temps, des flashbacks qui lui permettent de raconter au public son histoire d’amour avec Ekart, le mec populaire de son quartier.
L’ambition réussie de Sauvez Bâtard est de mélanger un univers queer à un univers science-fictionnel. D’une part, l’ambiance musicale et le décor futuriste nous immergent et on oublie presque la vraie vie au bout de seulement quelques minutes. Tout est mystérieux et quasi rien n’est expliqué, ni le contexte du récit, ni l’histoire du décor ou des personnages.
On apprécie une colorimétrie et des costumes éclectiques, des personnages androgynes, et un imaginaire homophobe qui associe homosexualité et obscénité, réutilisé au compte d’un esprit provocateur et militant. Par exemple, les personnages jouissent ou urinent sur scène et le nom d’Ekart lui-même rappelle à plusieurs reprises le verbe « écarter »…
« J’ai encore sa bave sous les aisselles et sa poésie entre les fesses. »
Le spectacle abandonne progressivement son intrigue « policière » pour se concentrer sur une réflexion autour de l’amour. L’amour est-il encore possible dans le futur ? Quelles concessions, pour soi ou pour l’autre, peut-on tolérer au nom de l’amour ? L’identité de genre et la sexualité sont-elles des freins à l’amour ? Thymios Fountas s’inscrit ainsi dans le sillage de Mona Chollet, Victoire Tuaillon, ou encore Bell Hooks dont il explicite les inspirations.
La relation de Bâtard et Ekart n’est certainement pas des plus sereines. Si Ekart est réticent au départ car « il n’est pas PD », c’est ensuite Bâtard qui, indifférent, se refuse à accepter les sentiments forts d’Ekart. Il se montre froid, distant, désagréable, mais en même temps proche et plein de désir. S’agit-il alors d’amour ? Si une réponse claire n’apparaît pas pour tous les spectateurs et spectatrices, la pièce réussit à poser un cadre pour des questionnements individuels.
Comme Bâtard est poète (« pouet pouet », comme dira Clochard), les répliques sont déclamées sous forme de poésie : les rimes et les jeux de mots abondent. Le texte a par ailleurs été édité chez L’Arbre de Diane l’année passée. On retiendra aussi l’humour absurde qui rythme le texte. Par exemple, pour disculper Bâtard du meurtre, les personnages lisent un mot retrouvé dans une poche du mort : « J’existe pas, bisous, le cadavre ».
Une réplique résume le ton du texte, entre poésie, humour, douceur, et provocation : « Se rouler dans les immondices de Bâtard, rien de plus jouissif ».