À l'approche de la clôture de la seconde édition de l'OAFF, Karoo fait le point sur le fonctionnement du festival et sur ses points forts avec les coups de cœurs des long-métrages sur la thématique du rêve africain.

Si le court-métrage permet davantage de liberté, les long-métrages de l’OAFF ne sont pas avares en bonnes surprises. Il y a certes le « cinéma africain de papa » représenté par Barkomo, à la fois oubliable et plein de bonnes intentions. Par son histoire se déroulant dans le pays Dogon au XIXème siècle, il évoque les films historiques ouest-africains des années 80 et 90, mais sans atteindre le petit orteil de la qualité de mise en scène de ses illustres ancêtres. Surtout, il évoque un soda éventé et laissé en plein soleil. Frais et pétillant, ça doit être vraiment très bon, mais en l’état on souhaite plutôt s’enfuir pour choisir autre chose dans le frigo. Heureusement, prêts à émoustiller les papilles, il y a également des films plus audacieux et singuliers. Sew the winter to my skin, Supa Modo, Liyana et Mabata bata sont de cette dernière catégorie.

« Sew the winter to my skin »

Sew the winter to my skin raconte l’histoire de Robin des Bois avec à ses talons le shérif de Nottingham. Sauf que ce Robin des bois est africain, a vécu sous le nom de John Kepe, et qu’il a eu le malheur de naître en Afrique du Sud du mauvais côté de la barrière de l’Appartheid. Il vole aux riches propriétaires blancs pour aider les populations noires démunies.

 En plus d’un western, c’est un film historique, avec l’esthétique des films hollywoodiens du genre. Un film classique et maîtrisé, semblerait-il aussi. Mais si son réalisateur Jahmil X.T. Qubeka en reprend les codes, il adopte des partis pris radicaux qui offrent au film une saveur, une atmosphère, une âme propre. Ainsi, il choisit – certes comme beaucoup d’autres réalisateurs africains avant lui, mais nous ne ferons pas ici d’une corrélation une causalité – de limiter les dialogues à quelques lignes éparses. Le film est majoritairement silencieux et fait pleinement confiance à la puissance des images. Que ce soit à ces scènes sanglantes et brutales, ou à ces scènes plus feutrées où John Kepe se faufile pour choper un mouton ou échapper à ses poursuivants. Cela marche très souvent, mais à d’autres moments cela contribue à perdre un peu le-la spectateur-trice, faute de formulation claire des enjeux derrière la progression de l’histoire. En n’ayant pas lu préalablement le synopsis, il est compliqué de savoir d’emblée qui est cet homme pourchassé ainsi que ce qu’il en retourne. C’est un film au scénario-puzzle qui peut paraître diablement bordélique si l’attention se perd ne fut-ce qu’un instant. Mais, finalement, peu importe, puisque l’ivresse est bel et bien présente, les enjeux plus immédiats clairement définissables, l’enjeu global de mieux en mieux exposé, et que le film est suffisamment fluide et bien mené pour emporter son public à travers une histoire riche en subtilités. 

« Mabata bata »

On peut aussi compter sur Mabata Bata de Sol de Carvalho pour soutenir que les effets de flou, les jeux avec les ambiguïtés de l’image, se justifient par eux-mêmes. Ici, cela ne sera pas par une épure au niveau des dialogues, même si Mabata Bata les restreint à une portion congrue, mais surtout par l’indistinction entre le monde des morts et celui des vivants qui habite chaque plan. Le fait que le film soit une adaptation d’une histoire de l’écrivain Mia Couto n’y est pas étranger.  Ce dernier cherche à restituer dans ses écrits ce que les occidentaux appelleraient le « réalisme magique » et ce que les Mozambicains nommeraient plus prosaïquement leur quotidien. À l’écran, il en résulte un film très curieux, et surtout difficile à décoder, où les temps et les récits s’entrelacent, où la jeunesse et la vieillesse sont parfois interchangeables, où les morts font leur chemin parmi les vivants le plus naturellement du monde. À la première vision à l’ouverture de l’OAFF à Bozar, je n’avais pas tout saisi de ces différentes strates, au point de sous-estimer la portée du film. Il a fallu une seconde vision, en se concentrant sérieusement afin de ne manquer aucun indice, pour que la lumière soit. Cependant, ni à la première, ni à la seconde, je n’ai ressenti avoir perdu mon temps. Ceci, grâce à une esthétique extrêmement soignée, à une ambiance sonore qui n’est pas uniquement ornementale mais qui participe au sens du film, et surtout grâce à une atmosphère dans laquelle il est agréable de se laisser bercer. Tout comme Sew the winter to my skin, regarder ce film rejoint la pratique du piano. Facile d’approche en superficie, mais demandant du travail et de la persévérance pour en atteindre le fond. Les mécompréhensions ne sont donc pas uniquement dues à des errances durant la réalisation, mais également à un certain degré d’exigence adressé au public étranger à cette vision du monde.

« Supa modo »

Et justement, Supa Modo parle de vision du monde :  celle de Jo, petite fille atteinte du cancer et qui revient dans son village pour ses deux derniers moins à vivre. Jo est une fan de super-héros. Régulièrement, elle se rend dans le cinéma de Mike pour y découvrir entre autres de vieux films de Bruce Lee. Ceux-ci riment avec évasion, portée par la voix de Mike improvisé benshi, et surtout lui donnent espoir. Par la magie de ces histoires, elle n’est pas uniquement une spectatrice, mais une super-héroïne à son tour. Quand elle revient parmi les siens, le village entier participe à la réalisation de ce rêve, lui donnant ainsi l’occasion d’être en quelque sorte immortelle et d’oublier sa maladie. Pour elle, les super-héros ont la grande qualité de ne jamais mourir.

Supa Modo n’est pas uniquement l’histoire de l’extinction d’une vie, mais celle de la conjuration du drame par la force de l’imaginaire. Oui, la mort est inéluctable, mais on peut en revanche magnifier la vie, la parer de ses plus beaux habits, pour que l’âpreté de la mort à venir soit quelque peu éclipsée par son éclat. La grande force de Supa modo réside dans son inventivité, son énergie, sa capacité à maintenir coûte que coûte le cap de l’optimisme, même lorsque tout semble s’effondrer. Ce n’est certes pas un film irréprochable. Il manque parfois de rythme, entre autres choses. Mais c’est un film incarné, ponctué de touches d’humour toujours bienvenues, et dont certaines scènes particulièrement réussies (dont il ne sera rien dévoilé ici) sont destinées à rester dans la mémoire des personnes qui ont eu la chance de le voir.

« Liyana »

Liyana résonne particulièrement avec Supa Modo, en tant qu’il s’agit encore de chasser les mauvais esprits d’enfants au vécu difficile par le biais de l’imaginaire. Toutefois, on entre ici dans un registre très différent des trois précédents long-métrages. Liyana mélange le film d’animation, le documentaire et le film de fiction, pour notre plus grand bonheur. 

Pour ce faire, Aaron et Amanda Kopp se sont attardés sur un orphelinat situé dans une région vallonnée du royaume d’Eswatini (ex-Swaziland). Leur but n’est cependant pas uniquement d’     exposer les souvenirs douloureux des pensionnaires de l’orphelinat, dans un étalage déplacé de la misère. Leur projet est beaucoup plus audacieux et surtout admirable d’humanité. Ils leur demandent de créer une histoire par laquelle leurs vécus transparaissent. C’est l’occasion pour les enfants de parler, sous couvert d’un récit, de ce qu’ils ont traversé, et de s’exprimer sur ce qu’ils ressentent en toute sécurité. 

Ainsi naît Liyana, dont le scénario est intégralement écrit par les orphelins. Ses aventures apparaissent sous les yeux du/de la spectateur-trice par des scènes animées. Elles sont entrecoupées par les explications des enfants eux-mêmes sur la suite des péripéties. Il en ressort par conséquent un documentaire éminemment vertueux, où les enfants s’épanouissent par le biais d’un projet collectif, ainsi qu’un film d’animation très touchant par ce qu’il raconte, par ce qu’il raconte de ceux qui la racontent, et enfin sur l’univers dans lequel tout ceci prend place. C’est un film très original, solide, intelligent, touchant, et que l’on pourrait dire « d’utilité publique ». Par le biais de l’histoire de Liyana, il met régulièrement le doigt sur des points restés dans l’ombre, faute d’un dispositif cinématographique suffisamment fin pour retenir le grain dans le tamis. Cette grande finesse est une qualité suffisamment rare pour être appréciée.Elle l’a en tout cas été dans les nombreux festivals à travers le monde où Liyana a été primé.

« Oga Bolaji »

Enfin, il y a le canard boiteux, celui qui nous embête un peu parce qu’il n’arrive pas à se rendre où l’on souhaiterait qu’il aille, mais qu’on aime bien quand même parce qu’il a une bonne bouille, un chouette caractère et qu’il nous sort souvent des tours sympathiques de sous son plumage. Oga Bolaji, film de Kayode Kasum réalisé au Nigéria, est de cet acabit. L’histoire suit Bolaji, un homme qui se débrouille comme il peut. Avant, il était musicien. Il se promène encore souvent avec son casque, d’où résonne parfois du Fela Kuti (homme de goût, dirait-on). Maintenant, il travaille dans un bar, à nettoyer les tables et récolter les fonds de bière laissés par les clients à son profit et surtout celui de ses amis. Cette routine est brisée par l’irruption dans sa vie d’une petite fille, puis de sa mère. Alors que tout ceci laisse présager un film tout en sobriété, il exaspère à force d’en faire des tonnes au moindre moment dramatique. Non, faire tomber des oranges ne mérite pas de sortir une musique zimerienne tout droit sortie d’une scène d’apocalypse ayant mis fin à la moitié de l’humanité. En revanche, il s’en sort très bien lorsqu’il s’agit de dépeindre l’univers urbain, de montrer avec sincérité ce qu’est le Nigéria aujourd’hui, et même d’arriver à nous le faire ressentir avec humour et amertume dans le même temps. Il s’en sort également magnifiquement lorsqu’il s’agit de dépeindre des personnages avec du relief, et qui restent à l’esprit des jours après avoir vu le film. Le scénario ferait grogner tout script doctor : la réussite n’est pas éclatante, mais le pardon vient aisément lorsqu’il apporte tant au passage.

Dess(e)ins en pointillés

D’autres encore pourraient être cités, détaillés, développés sur des pages encore nombreuses. Parmi les longs-métrages on pourrait par exemple citer La negrada, très beau film de fiction retranscrivant le quotidien d’une communauté afro-descendante au Mexique, bien qu’un peu trop plat. Parmi les long-métrages documentaires, on pourrait parler d’À la recherche du vinyle d’ébène. Il s’intéresse essentiellement à la musique congolaise des années 70-80, où l’amateur-trice des rythmes de cette époque sera comblé-e grâce à des témoignages exceptionnels. Ou encore, Poisson d’or, poisson africain, documentaire passionnant auscultant avec une précision analytique l’évolution du secteur de la pêche en Afrique de l’Ouest. Parmi les courts-métrages de fiction, on pourrait aussi saluer les très belles pirouettes scénaristiques de JehtroxJehtro, film métafilmique à propos de propositions de scénarios à des producteurs pointilleux. Ou encore Raw dinner, ovni inclassable, même dans la catégorie des ovnis. Il mélange clip, film expérimental, film fantastique, etc., pour un résultat étrange, ni tout à fait réussi ni tout à fait raté, où il est difficile de savoir sur quel pied danser. On retient enfin Il pleut sur Ouaga, de Fabien Dao, moins réussi que Bablinga, car diluant trop ses idées, il présente quand même de nombreuses qualités qui en font un court suffisamment prenant pour lui consacrer quelques minutes. Parmi les courts-métrages documentaires, il y a le très militant et visuellement soigné Entitled. Il porte un message très fort, mais dans le même temps laisse sur la faim. Puis, il y a tous les autres, ratage pardonnable (Z le commencement, film de s-f réalisé par des adolescents) ou aussitôt vus aussitôt oubliés (Fever dream, A beautiful struggle, Dulce). Sur d’autres encore il n’y a simplement pas grand-chose à raconter (Burkinabè rising). Mais aussi, il y a ces films qu’on ne traitera pas pour une raison qui n’a rien à voir avec leur qualité intrinsèque. L’OAFF pèche par de nombreux soucis techniques, que l’on ne peut manquer d’évoquer, comme ils rendent impossible la vision de certains films.

« Raw Dinner »

Casca de Baobà, à l’heure où l’on écrit ces lignes, souffre d’un décalage au niveau des sous-titres, tout comme Dhalinyaro. Ensuite, Poisson d’or, poisson africain, pourtant un film issu de la francophonie, ne dispose pas de sous-titres français pour les interventions en langue africaine. Pendant tout un temps, il ne disposait d’ailleurs que de sous-titres en espagnol. J’ai également été systématiquement confronté à un problème concernant le lecteur vidéo de l’OAFF, qui bloque une fois le minutage fatidique de 19:59 atteint. Enfin, tout ceci peut sembler de l’ordre du chipotage, mais l’on parle ici d’un festival qui mise tout sur le streaming. Par conséquent, il se doit d’être irréprochable sur ce point, étant donné qu’en dehors du site internet, il est tout bonnement impossible de se rattraper pour voir le film par d’autres biais. 

Mise au point et point de fuite

Toutefois, il faut tempérer quelque peu la critique et saluer le travail abattu. On parle ici d’un festival qui se fait avec de nombreux bénévoles et un budget fort réduit, mais qui parvient à proposer une sélection élaborée avec intelligence, sur des cinémas qui percent timidement sur la scène mondiale. Cela en fait donc un festival important malgré des moyens modestes, qui mérite d’être soutenu, afin d’assurer les éditions à venir. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, le festival n’a pas réussi à réunir suffisamment d’entrées pour rentabiliser cette édition. Il se pourrait que ce soit la dernière, à moins que les deux semaines de prolongation, orientées autour des films les plus regardés, soient salutaires. 

Alors qu’il y a de quoi attirer l’œil. Il se dégage de ces films un imaginaire fragmenté, mais dans lequel on retrouve toutefois une communauté d’esprit. Les films résonnent entre eux dans leur équilibre constant entre les défis d’un quotidien qui demande de s’accrocher fermement et les luttes pour affirmer ses convictions, maintenir l’espoir malgré tout. Les imaginaires africains cinématographiques s’ouvrent des perspectives. C’est aussi en cela que les cinémas africains sont importants et sont à soutenir, puisque ce ne sont pas uniquement des images destinées à rassasier son public en divertissement. À travers elles, c’est une multiplicité d’univers qui projettent leurs aspirations et surtout qui se construisent un horizon propre. Soutenir ces cinémas, c’est ainsi en même temps reconnaitre leurs efforts pour tâtonner dans des directions nouvelles, aptes à surprendre, à redonner le sourire, à émouvoir, à briser les barrières. Bref, c’est faire en sorte que le cinéma puisse exister comme tel sur le continent africain et s’exporter, de pouvoir rendre familier les noms de ses ressortissants autant que le sont des noms américains, européens, voire asiatiques. C’est sortir le cinéma africain de son état d’exception et donner une visibilité à des pans culturels moins connus. Il reste alors à croiser les doigts pour que, à l’heure où ces lignes sont écrites, des solutions soient trouvées pour l’avenir de l’OAFF. Afin de donner une troisième opportunité à de nombreux réalisateurs et réalisatrices de briller face à un public international. 

En savoir plus...

Sew the winter to my skin

De Jahmil X.T. Qubeka
Afrique du Sud, 2018
128 minutes

Mabata Bata

De Sol de Carvalho
Mozambique, 2018
73 minutes

Supa Modo

De Likarion Wainaina
Kenya, 2018
74 minutes

 Liyana

De Aaron et Amanda Kopp
Swaziland, 2017
77 minutes

Oga Balaji

De Kayode Kasum
Nigeria, 2018
90 minutes