Frédéric Saenen
Le superbe récit autobiographique L'Enfance unique de Frédéric Saenen ressort en poche chez Espace Nord. L'histoire poignante d’une jeunesse marquée par un cocon familial indissociable de sa lingua franca, le wallon.
Espace Nord réédite le dernier texte en date de l'écrivain et critique belge Frédéric Saenen qui revenait sur les pas de sa jeunesse à Grâce-Hollogne ; par cet ajout à son catalogue, la maison d'édition classe ainsi seulement quelques années après sa première parution (Weyrich, 2017) ce livre parmi les classiques de la littérature belge. L'ouvrage tente de restituer le petit monde qui a contenu l'auteur enfant, et qui n'existe aujourd'hui plus que dans la mémoire de celui-ci.
Au centre de ce récit se trouve l’enfance, monde Premier, et le wallon , la lingua franca de cet univers. Ainsi que les planètes qui le forment : les grands-parents de Frédéric Saenen (alias Petit d'On), Grand-Popa, Mamy, et Ginette, sa maman. On pourrait ajouter le père, qui, par son absence (parti avant naissance) et sa nationalité étrangère (Italien, à une époque de l'histoire de la Belgique où cela rimait plus avec « parasite » qu'avec « exotisme »), grave les expériences de Petit d’On de manière indélébile.
Un genre autobiographique, donc, et qui plus est, qui aspire à faire revivre, le temps d’une lecture, un univers disparu. En cela il rappelle La Langue de ma mère de Tom Lanoye , qui commence son récit après la mort de son père, décédé quelques années après la mère de l’écrivain, et qui faisait revivre grâce à son livre, de manière si poignante, ses parents, son enfance, son quartier. Tel est le but de Frédéric Saenen avec L’Enfance unique , dans une langue similairement complexe, recherchée, baroque et aussi presque rabelaisienne. À cela près que Saenen ne fait pas uniquement revivre un univers : il ravive sa langue, le wallon, par la même occasion. Il intègre dans le récit des mots de patois, dont il donne la signification dans des sections appelées « primoglossies », qui se glissent entre les chapitres.
Il se trouvera des gardiens de la tradition pour évoquer, avec un œil mouillant de nostalgie, le déclin de la pratique du wallon, ce langage « si savoureux » qu’il est « par bonheur » toujours loisible d’aller, une fois l’âge de la retraite venu, réapprendre à voussoyer en cours du soir et étudier comme un sanskrit local.
Néanmoins, l’auteur ne veut pas faire de l’utilisation du wallon un folklore :
Langue première, je ne vais pas t’exhumer au théâtre de marionnettes ni dans quelque médiathèque, encore moins dans la sphère du virtuel. Je te porte en moi, comme ce réflexe animal qui fait que les battements cardiaques d’un mammifère ralentissent, ralentissent mais se maintiennent en veille si son corps vient soudain à être immergé dans une eau glaciale.
Malgré quelques passages un peu caricaturaux qui opposent les réseaux sociaux et la vie contemporaine au wallon, qualifiée de langue de la « vérité », on passe facilement outre pour s’immerger dans cet univers, et au goût de cette enfance qui, bien qu’ « unique », a ce goût nostalgique dans lequel nombre de lecteurs peuvent se retrouver. Mise en contraste avec quelques passages narrant un présent où l'auteur est adulte et souffre d’une addiction au jeu, l'enfance paraît particulièrement enveloppée de mélancolie, même si elle porte son lot de traumas.
Frédéric Saenen s’inscrit parfaitement dans le genre bien ancré de l’autobiographie, de l’autopsie des origines, et fait revivre pour nous son enfance et une langue qui est, pour beaucoup de Belges francophones, un fantôme ressurgissant parfois par mégarde, lors d’une visite chez les grands-parents.