critique &
création culturelle
Les contes d’Hoffmann
à Hollywood

Pour les fêtes de fin d’année, La Monnaie propose une version des Contes d’Hoffmann revisitée par le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, sur fond de drame hollywoodien moderne.

Les contes d’Hoffmann (1881) est une œuvre posthume de Jacques Offenbach, compositeur Français originaire de Cologne, décédé en 1880. Le livret a été écrit par Jules Barbier, sur base d’une pièce qu’il avait lui-même écrite en 1851.

L’argument des Contes d’Hoffmann reprend plusieurs contes de E.T.A. Hoffmann (1776-1822), écrivain allemand au style romantico-fantastique. Il a notamment écrit Casse-noisette et le Roi des souris , qui inspirera plus tard Tchaïkovski pour son ballet éponyme. Dans cet opéra, Hoffmann est un poète amoureux de la cantatrice Stella, ce qui ne plaît pas du tout à son rival, le conseiller Lindorf. Hoffmann arrive dans un cabaret où ses amis le prient de raconter ses histoires d’amour. Le poète explique qu’il va parler de ses peines de cœur avec trois femmes qui ne sont en fait que trois facettes d’une seule : Stella. La première histoire est inspirée du conte L’homme au sable : Hoffmann est épris de la belle Olympia, fille du scientifique Spalanzani. Mais Olympia, si jolie, qui chante si bien, est en réalité un automate qui se brise après ses premières valses dans les bras du poète. Après cette mésaventure, Hoffmann rencontre Antonia ( Le Violon de Crémone ), dont la mère, ancienne cantatrice, est décédée d’une grave maladie ; son père, Crespel, défend à sa fille de chanter car elle souffre du même mal. Trompée par son médecin, Antonia pense qu’Hoffmann veut qu’elle continue de chanter à tout prix, et elle finit par en mourir. Enfin vient Giulietta ( Les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre , chapitre 4 : L’Histoire du reflet perdu ), courtisane qui parvient à séduire Hoffmann afin de lui voler son reflet. Dans chacune des trois histoires, le rival amoureux d’Hoffmann prend des formes différentes : un oculiste charlatan, un médecin véreux, un capitaine diabolique ; ses apparitions contrarient les plans d’Hoffmann et amènent chaque conte vers une issue tragique. Quand enfin Hoffmann termine de parler, il est complètement ivre. Stella débarque dans la salle, s’indigne et repart au bras de Lindorf. C’est là que la Muse de la poésie, amoureuse de l’écrivain et déguisée sous les traits de Nicklausse, un ami d’Hoffmann, se révèle à lui et lui avoue son amour.

L’opéra est très agréable à écouter : les airs sont pour la plupart joyeux et les mélodies restent facilement en tête. Certains arias sont particulièrement impressionnants par les acrobaties vocales qu’ils demandent ( Les oiseaux dans la charmille ), et d’autres par leur beauté ( Barcarolle ). C’est un opéra drôle, parfois un peu moqueur, car il a été créé pour l’Opéra-Comique de Paris par un pro des opéras-bouffe et des opérettes aux sujets légers. Offenbach joue parfois sur les sonorités pour faire rire son public, comme dans La chanson de Kleinzach ( Le Petit Zachée surnommé Cinabre ).

J’ai été éblouie par la performance de Nicole Chevalier, qui endosse quatre rôles féminins (Olympia, Antonia, Giulietta, Stella) ainsi que par celle d’Enea Scala (Hoffmann). La qualité des artistes à la Monnaie reste définitivement une valeur sûre.

Les parties instrumentales sont particulièrement magnifiques et superbement rendues par l’Orchestre de la Monnaie. Par moments, Offenbach laisse la part belle à certains instruments, par exemple aux violoncelles – instrument de prédilection du compositeur. La musique soutient aussi parfois le texte en imitant ce que les paroles représentent, entre autres des oiseaux.

Cependant, je n’ai pas vraiment accroché à la mise en scène de Warlikowski qui propose un Hoffmann réalisateur alcoolique et dépressif. D’après les critiques que j’ai pu lire sur cette production ainsi que sur les travaux précédents de Warlikowski, le metteur en scène aime ajouter des éléments multimédias (en l’occurrence ici, des caméras qui retransmettent leurs images en direct sur le fond de la scène) ainsi que de faire quelques modifications au texte. Warlikowski ajoute quelques scènes parlées au début de l’opéra et entre les actes, pour placer l’œuvre dans un contexte hollywoodien. Je n’ai pas trouvé ces ajouts nécessaires (ils m’ont d’ailleurs plus perturbée qu’autre chose), et le fait de couper la toute fin de cet opéra quand la Muse révèle son amour à Hoffmann m’a même plutôt déçue, parce qu’on perd une partie de l’histoire. D’accord, ici Hoffmann n’est plus un poète, mais pourquoi réduire au silence la Muse qui, pourtant, apparaît autant que le personnage principal, le suivant comme son ombre ?

© Bernd Uhlig

De plus, si je comprends l’idée de passer des images des copines d’Hoffmann sur l’écran de manière dissimulée ou explicite pour montrer qu’elles sont toujours quelque part dans un coin de sa tête, elles sont constamment hyper-sexualisées et je ne suis pas certaine que cela soit dans un but féministe : Stella se promène en lingerie sur le plateau, la Muse est aussi plutôt dévêtue (et roule une pelle à Giulietta sans vraiment de raison, si ce n’est l’environnement ultra érotique dans lequel baigne cette actrice de films X), et les gros plans vidéos nous font presque entrer dans la sexualité d’Hoffmann…

Malgré tout, la qualité musicale de cette production vaut clairement le détour pour les oreilles: l’opéra sera diffusé sur les ondes de la RTBF ce 20 décembre.

Même rédacteur·ice :

Les Contes d’Hoffmann

Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Direction musicale: Alain Altinoglu
Avec : Eric Cutler/Enea Scala, Patricia Petibon/Nicole Chevalier, Michèle Losier, Sylvie Brunet-Grupposo
Décors et costumes : Malgorzata Szczesniak

Vu à La Monnaie le 12 décembre 2019