La langue des choses cachées de Cécile Coulon
De celle qui a perdu la sienne
La jeune autrice à succès Cécile Coulon signe son sixième roman. Entre ovations et innovations, La langue des choses cachées dévoile une langue trop poétique, qui le démunit de son ambition : dire vite et bien.
J’avais découvert Cécile Coulon avec Une bête au paradis que ma prof de français avait imposé en lecture pendant notre rhéto. Le roman m’avait plu au point que je le choisisse pour ma première critique sur Karoo ! J’ai sauté sur l’occasion de célébrer mes deux ans de rédaction à l’annonce du nouveau : La langue des choses cachées.
Comme celle des autres, l’atmosphère de ce roman m’a globalement subjugué. Dans un huis clos rural, les lecteurs découvrent un style champêtre, similaire à celui de Jean Giono, mais lugubre. Les personnages sont mystérieux : innomés, la « mère » et le « fils » ont le pouvoir de lire dans les tourments des personnages, dans leurs culpabilités, leurs regrets, leurs actes manqués, etc. Il s’agit d’un véritable mood, qui s’est encore mieux construit avec Seule en sa demeure, son précédent : au XIXe, pas loin de la Suisse, un mariage forcé, des secrets, une certaine mélancolie implicite, mais un optimisme à déceler entre les lignes…
« Le Fond du Puits repose toujours à l’ombre : l’eau y est fraîche, l’herbe plus verte que sur les deux seins pelés qui l’entourent, une seule route le traverse, un clocher le grandit. Les maisons y sont bien rangées. Les vivants persistent à vivre. »
Pour le reste, au regard des romans précédents, et sans vouloir être trop réducteur, ce roman ressemble à un Shining raté : un « pouvoir » surnaturel inexpliqué, en l’occurrence celui de percevoir les traumatismes et passés douloureux, pouvoir autour duquel gravitent toutes les autres dimensions du roman, dont le titre, un pouvoir qui explore les relations et psychés humaines. Le défaut de ce roman est sans doute sa brièveté. Étudier les affres de l’indicible en cent trente-cinq pages est une entreprise difficile qui exige plus qu’une bonne idée.
« L’homme aux épaules rouges est fait d’une chair de muscles et d’alcool, il manque de sommeil, de lumière et de caresses, il ne connaît rien des sourires sincères et des paroles douces, il a violé des femmes, cogné des hommes, vidé des bêtes, il boit comme un chien, il hurle, il rugit, il se branle dans les draps de la défunte et, quand ce n’est pas assez, il chasse les filles vierges des hommes qu’il connaît depuis l’enfance. »
Un second aspect du roman qui m’a moins plu, plus structurel, est le genre choisi pour son récit. Cécile Coulon est une romancière talentueuse, mais ses poèmes, qu’elle partage régulièrement sur son compte Instagram, et qui lui valent déjà trois recueils, ne me touchent pas beaucoup. Mélanger ces deux registres est risqué, même si de nombreux auteurs l’ont réussi (comme Caroline Lamarche ou Antoine Wauters). Il y a un décalage entre la forme aux allures mélodramatiques et le fond qui n’est pas aussi émouvant. Peut-être que Coulon aurait pu élever son propos en fluidifiant son texte, et sans omettre la spontanéité de l’écriture.
« Car c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements : leurs mains caressent et déchirent, rendent la peau si douce qu’on y plonge facilement des lances et des épées. »
Sans bousculer sa signature, il lui serait peut-être intéressant de chercher d’autres recettes. Sinon de déblayer les zones d’ombre de son univers, en appuyant sur d’autres aspects que la poéticité, tels que la psychologie de ses personnages, son engagement féministe ou écologiste, ou encore ce fameux mood dont elle a démontré sa maîtrise. La langue des choses cachées m’a déçu, et je lui souhaite que ce ne soit pas le cas de tout le monde.