critique &
création culturelle

Les noms des théâtres à Bruxelles

De créativement nommés à illustres renommées

Le BRASS © Bruno Dias Ventura, Lara Herbinia et Rozenn Quéré

Quelle opportunité pour Bruxelles de compter autant de scènes ! Dans les gradins, on oublie parfois de regarder ce qui se cache en coulisse, derrière leurs noms : rues, personnages illustres, mémoire culturelle ou métaphores, et plus encore.

Les noms de théâtre peuvent de prime abord paraître anodins, reflétant peut-être une anecdote, une origine ou employant un jeu de mot plus ou moins subtil. Cependant, lorsque nous nous penchons sur certains d’entre eux, de vraies ingéniosités stylistiques se dévoilent.

Ces ingéniosités ont animé une courte étude que j’ai menée en linguistique qui visait à caractériser une corrélation entre noms de théâtres et indices socio-économiques des quartiers dans lesquels ils se situent. Retracer toute mon analyse étirerait trop cet article et ne serait qu’un étalage soporifique de jargon. Je vous propose plutôt de faire le tour des endroits aux noms les plus créatifs.

Archipel 19

Le centre culturel de Berchem-Sainte-Agathe et Koekelberg a choisi un nom polysémique : Archipel 19. L’idée de l’archipel renvoie à ces deux communes comme à des îles reliées entre elles. Quant au chiffre 19, il rappelle autant le tram 19 qui relie Berchem à Koekelberg que, plus timidement, les 19 communes qui composent Bruxelles.

Au B’izou

Le nom « B’izou » est un évident calembour du mot « bisou ». Son orthographe étrange inclut en fait « Izou », le surnom d’Iza Loris, l’une des fondatrices du café-théâtre anderlechtois. Par paronymie, les sonorités se rapprochent aussi de la place Bizet, non loin de là.

BRASS

À Forest, le BRASS occupe l’ancienne brasserie Wielemans-Ceuppens. Le nom reprend donc tout simplement le début du mot « brasserie ». Il a été coupé pour ouvrir son sens au brassage, non de bière, mais de gens, de population, de public, en rappel de la fonction du lieu.

L’Entrela’

À Evere, le centre culturel s’appelle L’Entrela’. D’un côté, il évoque les entrelacs, ces liens que le lieu veut tisser entre habitantes et habitants. De l’autre, en supprimant les deux dernières lettres, par apocope, on comprend aussi « Entre là » au seuil de la porte d’entrée.

Théâtre Océan Nord

L’histoire du théâtre Océan Nord est plus complexe. Avant d’être un théâtre d’accueil, cet ancien garage était le siège d’une compagnie appelée originellement « Ciel Noir », inspirée par la figure du poète maudit et par la pièce Baal de Bertolt Brecht. Après un succès au Festival d’Avignon, en présentant des créations « venues du Nord », le nom a évolué vers « Océan Nord », gardant une sonorité proche tout en implantant le lieu dans son quartier à Schaerbeek, au Nord de Bruxelles.

Rappelons que le Théâtre Océan Nord est actuellement à la recherche de financements pour la mise en conformité du bâtiment. Sa fermeture, pour l’instant temporaire, a un impact sur la médiation en particulier, car plusieurs projets avec les écoles et le quartier ont déjà été suspendus.

Wolubilis

Enfin, à Woluwé-Saint-Lambert, le Wolubilis s’inspire du latin volubilis (« qui tourne »), référence aux courbes architecturales du bâtiment. Le « v » a été remplacé par un « w » pour rappeler Woluwé. Et l’écho à la cité antique marocaine de Volubilis ancre l’idée du village culturel que veut donner le centre culturel.

Une pensée vous a peut-être effleuré l’esprit : sur les six noms repris dans cet article, quatre sont portés par des centres culturels. La qualification de « théâtre » ou de « scène » de ces lieux est discutable, parce qu’elle ne traduit pas complètement l’activité des centres. Pour ma part, je les ai repris dans mon analyse justement pour l’originalité de leur nom.

Ceci dit, remarquons que la moitié des lieux repris dans cet article se situent dans un quartier à indice socio-économique faible. Plus généralement, j’ai pu observer que les scènes situées dans les quartiers plus précaires de Bruxelles portent des noms plus complexes ou plus exceptionnels.

Pour rester sur les centres culturels, ceux d’Uccle et d’Auderghem, situés dans des quartiers à indice socio-économique 4/5 en 2021, confirment cette tendance : ils s’appellent respectivement « Centre culturel d’Uccle » et « Centre culturel d’Auderghem ». En somme, ce sont des noms prévisibles, simples et explicites, qui ne présentent que peu de particularité, en dénote leur similitude syntaxique.

La question qui s’impose est : pourquoi ? Le nom d’un théâtre est-il employé comme outil de communication à ce point efficace qu’il est censé attirer un public aisé mais potentiellement plus éloigné ? La médiation culturelle aussi peut éclairer une partie de cette question : deux centres culturels, l’Archipel 19 et l’Entrela’, ont requis des comités de quartier au moment de l’élaboration de leurs noms, permettant d’inscrire les institutions dans leurs localités.

On aura compris que les noms de théâtres recèlent pour certains d’inventivité. Et les raisons qui poussent les lieux à faire ce pari suggèrent des pistes de réflexion nombreuses et très intrigantes que cet article seul n’a permis que de survoler.

Même rédacteur·ice :
Voir aussi...