Une fois que tu sais
Voyage au centre de l’éco-anxiété
Projeté en ouverture du festival Alimenterre, le documentaire d’Emmanuel Cappellin, Une fois que tu sais , est un reportage-journal qui regarde la crise climatique à travers le prisme de l’éco-anxiété. Un documentaire dont la poésie ne fait pas l'impasse sur le trouble qui traverse son réalisateur, et le spectateur à sa suite.
En alternance avec des séquences de reportage plus classique, la caméra montre deux mains qui passent en revue une série de photos, documents et autres souvenirs, comme si ceux-ci étaient une preuve du passé, de la tangibilité de la vie de celui qui raconte son histoire et ses pérégrinations. Ces photos racontent l'histoire d'un homme, le réalisateur français Emmanuel Cappellin, ou plutôt son histoire à partir du moment auquel il a su . Mais su quoi, au juste ?
Les études scientifiques parlaient de pénurie énergétique, d’emballement climatique, d’extinction du vivant. [...] Un rapport de 1972, intitulé Les limites à la croissance , a fait son nid, quelque part dans ma tête. Pour la première fois, j'ai entendu parler d'effondrement. J'ai entendu. Mais je n'ai pas compris.
Depuis qu'il a eu connaissance du rapport Meadows Les limites à la croissance ( The Limits to Growth ), Emmanuel sait , il est conscient de la crise climatique et du caractère fini des ressources sur terre, une idée en conflit avec la croissance constante de la population, de notre économie et de l’extraction de pétrole. En réaction à cette nouvelle connaissance, Emmanuel a eu diverses « phases » d’engagement : plantations massive d’arbres dans la forêt équatoriale, zéro déchet, réalisation de documentaires engagés… Mais ni les grands sommets pour le climat, ni ses actions n'ont empêché la dégringolade. Alors, malgré tout cela, il faut encore vivre avec cette idée de catastrophe en tête, ce grand désastre.
Dans son documentaire, Emmanuel Cappellin interroge des acteurs de la transition écologique : ingénieurs, journalistes, spécialistes de la résilience et de la vulnérabilité humaine. Il les interroge non pas sur les tenants et les aboutissants de la crise climatique, qu’il connaît bien, mais sur ce que leur savoir crée en eux.
J’ai besoin des chercheurs qui, comme Meadows, alertent depuis si longtemps. Comment font-ils pour vivre avec leur savoir, moi qui n’arrive pas à vivre avec le mien ?
Emmanuel Cappellin ne choisit pas un angle politique ou en tout cas pas entièrement. Ce documentaire répond par contre à toutes les personnes qui un jour ont réalisé l’ampleur de la crise et qui, comme le réalisateur, se sont demandées comment se projeter dans un tel futur. En ce sens, le documentaire est vraiment libérateur pour les personnes qui se reconnaissent dans l’angoisse et le questionnement de la voix off. Le film rappelle en outre l’excellent essai de Mark O’Connell Notes from an Apocalypse 1 qui d’une manière similaire interroge notre manière de concevoir la crise climatique et nos réactions pour anticiper un futur « apocalyptique » .
Au cours des quelques conversations avec des interlocuteurs de différentes partie du globe qui apportent tous des réponses variées, un message de résilience et de solidarité se glisse entre les images : l’accueil de réfugiés dans le village où Emmanuel Cappellin a élu résidence, l’adaptation des Bangladais par rapport à la montée des eaux. Aucun interlocuteur ne donne réellement de réponse aux questionnements d’Emmanuel, à part Susanne Moser, « spécialiste de notre vulnérabilité et de notre résilience face au climat » , qui lui explique les mécanismes de résilience de l’être humain. Néanmoins, on se sent accompagné tout le long du film par les doutes d’Emmanuel et par les personnalités qui sont interrogées : le film fait un peu office de catharsis. Les œuvres d’art qui disent en somme « Vous n’êtes pas tout seul » , qui pointent vers une réalité encore peu débattue, sont extrêmement bénéfiques.
Le documentaire est aussi très esthétique. En filmant ses mains plutôt que son visage, Emmanuel Cappellin apporte une certaine poésie à son documentaire, mais une poésie qui ne vient pas toujours d’éléments positifs, comme lorsqu’un papillon, parmi la nuée de papillon venus d’Asie qui ont envahi et saccagé la flore de sa région, se pose sur sa main. S’ajoute à cela le texte, dont tous les mots ont été choisis avec attention, et qui sont dit sur une voix douce, posée, mais aussi légèrement funeste. On pourrait peut-être reprocher une musique de fond parfois un peu anxiogène pour un documentaire dont le but n’est pas, a priori, de créer plus d’anxiété chez le spectateur que ce qu’il ressent déjà. Néanmoins, ce traitement doux-amer du film reflète le mélange entre l’amour pour la nature que porte Emmanuel et les noirs présages qu’elle amène parfois. Un mélange aussi entre l’espoir et l’âpreté de savoir, car « Une fois que l’on sait », dit un des intervenants du film, « on n’est plus jamais le même ».