critique &
création culturelle
    Pousse-café # 3
    « Le pigeon » de François Capet

    Karoo vous propose de

    Karoo vous propose de

    lire cet été les nouvelles issues du recueil Pousse-café

    rassemblant les quatre lauréats primés du Grand Prix de la Nouvelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et six autres nouvelles que ce jury a tenu à distinguer. Cette semaine,


    « Le pigeon » de François Capet .

    C’est un entrelacs complexe de durites presque invisibles tant elles sont fines. Elles relient des centres de décision intégrés, conçus comme des puces de silicium, mais développés dans des laboratoires de biophysique moléculaire. Une caméra est fixée derrière chaque pupille, elle-même constituée d’une sorte de polymère translucide. Ce pigeon est un drone. Que fait-il ici ? Depuis combien de temps m’espionne-t-il ?

    Je sais que tout cela est absurde. Bien sûr. Il suffirait que je m’approche doucement, que je l’attrape, que je lui arrache la tête d’un coup sec, pour fouiller ensuite l’espèce de confiture de cervelle écrasée et n’y découvrir rien d’autre qu’une coquille de noix un peu molle, contenant ce que fut son intelligence limitée.

    Je ne le fais pas parce que les gens me prendraient pour un fou. Alors que cet acte, qu’ils jugeraient insensé, prouve- rait justement que je ne le suis pas.

    C’est Elle qui insiste toujours pour que nous déjeunions dans une brasserie le dimanche midi. Puisque nous ne demeurons pas très loin du centre-ville, nous rentrons ensuite à pied. Nous ne nous tenons pas par la main, non. Nous marchons tranquillement en nous arrêtant parfois à une vitrine. Elle l’inspecte, dirait-on, plus qu’Elle ne la regarde, repart ensuite sans un mot, marchant à mes côtés. J’ai cependant l’impression de la suivre, parce que c’est

    Elle qui décide des zigzags hésitants qui nous font traverser la chaussée plusieurs fois. Si une terrasse de café lui semble accueillante, et si le temps le permet, alors nous nous asseyons, pour un petit pousse-café.

    Le fait de s’asseoir à une terrasse ne provoque pas la venue immédiate du garçon. Il existe en effet une règle non-écrite, mais absolument exacte, que j’ai vérifiée à plusieurs reprises. Si vous vous promenez en ville et que vous vous asseyez quelques instants à la terrasse d’un café parce que vous vous sentez un peu fatigué, alors on viendra immédiatement prendre votre commande. Mais si votre souhait est justement de venir boire un verre, alors il vous faudra patienter longtemps. Parfois très longtemps. Une éternité.

    « Je reviens tout de suite. » Il vient de passer derrière nous, à l’improviste. Nous ne l’avions pas vu. Il est vêtu de son tablier réglementaire, qui vient s’accrocher autour du cou. Il tient son plateau verticalement, sous le bras. Il marche vite. Il a l’air occupé. Il contourne l’angle du bâtiment constitué de belles pierres grises. Il s’engouffre dans le café par l’autre entrée. Nous le perdons de vue. Il ne revient pas.

    Elle lève la tête et regarde la rue. Les autos passent. Peu de trafic en vérité. Son pouce vient frapper la table trois fois. Elle me regarde.

    « Va voir ce qu’ils foutent. » Je me lève, fais le tour de la petite table ronde, verte, qui donne un aspect presque méditerranéen à cet établissement beaucoup trop austère pour tolérer la présence de cigales. Je rentre par l’autre porte. Il fait sombre à l’intérieur, trop sombre. Il n’y a presque personne, ce qui me semble étrange.

    Le bar se trouve de l’autre côté de la salle, que je traverse. Sur la gauche, un vieil alcoolo barbu me dévisage. Il est à moitié posé sur un tabouret trop haut pour lui, accoudé au marbre. Le grand verre en cône tronqué est rempli de bière. Une marque commune. La moins chère.

    Le verre est immobile. Il attend. Il attend que l’homme se tourne vers lui, se saisisse de lui, et le vide à grandes gorgées.

    Personne derrière le comptoir. J’hésite à m’adresser à cet homme qui n’est visiblement pas au mieux de sa forme. Mais je n’ai pas le choix.

    « Vous n’avez pas vu le garçon ?

    – Il revient tout de suite. »

    Il me lance un regard mal assuré. Il n’est pas certain de savoir qui je suis, dirait-on.

    Un bon moment passe, sans que je parvienne à me décider sur la conduite à tenir. La salle est surchauffée. J’étouffe. Le garçon va sûrement revenir, ou bien quelqu’un derrière le bar.

    L’homme finit par se lever maladroitement. Il se dirige vers la porte des toilettes. Je reste seul et me sens aussitôt mal à l’aise, sans savoir exactement pourquoi.

    Alors je m’assois, de l’autre côté du verre de bière. Sans façon, je m’en saisis et en avale une grande rasade.

    *

    « Tu pourras me laisser l’Audi ? » Elle vient de m’annoncer qu’il faut qu’Elle parte à Namur, le lendemain, pour superviser l’ouverture d’un nouveau magasin – de chaussures, bien entendu. Elle est dans la chaussure depuis toujours, en change trois fois par jour, empile d’innombrables boîtes de carton dans notre garage, s’extasie devant de nouveaux modèles en rejetant sans scrupule ceux auxquels Elle vouait une admiration éperdue quelques mois auparavant. Elle se pavane, se rengorge, se dandine sur des mules sorties de l’imagination perverse d’un designer italien pour ensuite se cuirasser de bottes au cuir vernissé.

    Elle a ouvert sa première boutique avant même notre mariage, grâce à un financement paternel, qu’Elle a tenu à rembourser au plus vite jusqu’au dernier sou. Qui paye ses dettes s’enrichit, dit-on. Peut-être. Qui paye ses dettes gagne la confiance des banquiers. Assurément. Elle possède aujourd’hui trois magasins dans la capitale, et plu- sieurs dans d’autres villes, dont Namur maintenant.

    Il y aura un cocktail où seront invitées des femmes surtout, certaines équipées d’un époux. Elle viendra jusqu’à elles, une par une, leur offrant son sourire éclatant, les appelant chacune par leur prénom, les escortant jusqu’à l’endroit de la boutique où Elle aura décidé qu’elles se poseraient.

    Elle leur proposera une coupe de champagne, appellera le serveur pour qu’il vienne leur présenter les délicieux petits fours qu’Elle aura commandés chez le meilleur des traiteurs, s’absentera cinq minutes avec ce signe élégant de la main qui n’appartient qu’à Elle, pour ne plus revenir de la soirée vers ces convives qu’Elle conspue en secret et dont Elle n’a rien à foutre.

    *

    Ils roulent à des vitesses effarantes, la tête inclinée, le sourcil froncé, la bouche crispée. Leur pouce droit tambourine de païennes icônes sur l’écran rétroéclairé. Un bref moment, un très bref moment, ils quittent la route des yeux pendant que je m’arrête sur une aire de repos pour consulter le message que je viens de recevoir.

    Le parking est fréquenté par des poids lourds surtout, alignés en épi le long de quelques arbres rabougris, compissés par les chauffeurs. Je finis par trouver une place et m’intercale entre deux semi-remorques.

    Ma participation au salon est annulée. On me prie de retourner au bureau séance tenante. Le reste n’est pas dit mais je le devine aisément. Un jeune collègue viendra me remplacer, un collègue affable, à l’anglais facile, un collègue qui tutoie les dernières technologies.

    La portière au-dessus de moi s’ouvre et elle entame sa descente. Ce qui semble un peu malaisé, car les cabines des poids lourds n’ont pas été conçues pour être escaladées par des pieds chaussés d’escarpins. Le chauffeur arrive, contournant l’avant du camion. Il se saisit de la femme par la taille, d’un bras qu’il enroule autour d’elle. Elle doit être relativement lourde, sinon il l’aurait saisie des deux mains seulement. Il pivote, la dépose à terre, lui dit quelques mots et s’en va, retournant à son poste de conduite sans se retourner.

    La femme non plus ne le regarde pas, car la portière de l’autre camion vient de s’ouvrir. Une autre cabine, un autre chauffeur, qui la regarde fixement. Elle s’ébroue, rejette ses cheveux en arrière, minaude, fait mine de rajuster sa robe, ce qui n’est qu’une manœuvre, cent fois répétée, pour mettre en valeur ses attributs, pour finalement se re- dresser, la poitrine avenante.

    Il plonge aussitôt son regard dans le décolleté qu’il surplombe, ce qui le met dans une situation désastreuse pour négocier le tarif du service qu’il voudrait qu’on lui rende, accepte un prix hors de propos, se rend compte de sa bévue. Il est trop tard. Elle se dirige déjà vers l’autre portière qu’il va ouvrir en rampant sur les sièges. Il se penche, ou tout du moins j’imagine qu’il se penche, car je l’ai perdu de vue, pour aller ensuite s’allonger sur la couchette à l’arrière, sous la bannière du Standard, après s’être acquitté du prix de la passe.

    Pas un instant la femme ne m’a jeté un regard, comme si son syndicat lui interdisait de frayer avec les ingénieurs commerciaux, caste dont je fais partie : ma cravate et mon complet-veston en attestent.

    Pas ma vieille trottinette défraîchie et rouillée par endroits, ni ma barbe de trois jours et mon regard fatigué. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Je n’en sais vraiment rien. Il faudrait que je prenne un instant, un instant seulement, pour essayer de comprendre ce qui est en train de m’arriver.

    Je ne vais pas rentrer au bureau, je n’en ai plus la force. De toute façon, ils n’ont aucun moyen de savoir où je me trouve. Je vais faire l’école buissonnière. Je vais rentrer chez moi, me servir deux ou trois whiskies, me mettre au lit avec un bon roman.

    *

    De l’endroit où je me trouve, au bar, je ne peux distinguer la table où Elle est assise, en terrasse. Mais j’entends sa voix, Elle parle à quelqu’un, au téléphone sans doute. Non. Pas au téléphone. Il y a une autre voix, emplie de mâle assurance, une voix que je connais peut-être. Je me penche. Je ne parviens pas à distinguer grand-chose par la fenêtre. Une fenêtre compliquée, ornée de ces dentelles que l’on voit partout, décorée de ces plantes grasses que l’on appelle communément langue de belle-mère, qui semblent immortelles, tant elles sont robustes et insensibles aux soins qu’on leur porte, ou qu’on ne leur porte pas, cohabitant avec de petits présentoirs bien pratiques, où s’empilent des ronds de carton sponsorisés par une grande marque de bière.

    Je l’imagine avec une barbe, une barbe précocement grise, une barbe rase, élégante. Il est bien habillé. Je viens de voir la manche de sa veste passer fugitivement derrière les carreaux.

    *

    Il y a plusieurs années que cela dure. Cette carrière professionnelle qui semblait toute tracée ne me mènera nulle part. J’ai beau en suivre les règles byzantines, ces règles qui prévalent aujourd’hui dans les multinationales de renom, tenter de pénétrer les cercles invisibles où les décisions se prennent, déjouer les intrigues qui s’échafaudent dans mon dos. Je ne parviens à rien de concret. Je vois de jeunes stagiaires au verbe haut et au front bas rejoindre nos rangs en me prêtant allégeance, pour ensuite, quelques mois plus tard, m’éviter dans les couloirs d’un regard distrait, m’adressant parfois ce drôle de sourire compassé qui me fait froid dans le dos.

    J’ai garé ma vieille voiture dans le grand parking où nous louons deux places à l’année, puisque notre garage, encombré de boîtes de chaussures, ne peut plus être utilisé. Ainsi en décide la logique féminine, sorte de fourre- tout constitué de bric et de broc, et accessoirement, de quelques idées préconçues.

    Je profite des derniers rayons de soleil. Je musarde. Rien ne me presse. Je tourne à droite, me voici chez moi, dans ma rue.

    C’est alors que je l’aperçois, attablée à la terrasse où nous prenons parfois un verre. Elle n’est pas seule. Elle rit. Elle parle fort. Elle renverse la tête en arrière.

    Elle est assise à l’une de ces petites tables vertes, rondes, qui donnent à penser que l’on est ailleurs, en vacances peut-être. L’homme qui est à côté d’Elle est élégant et raffiné. Le genre d’hommes auxquels les femmes trouvent du charme.

    Je me détourne aussitôt, vers une vitrine, pour que l’on ne me reconnaisse pas. Il doit s’agir d’une sorte de réflexe chez moi, d’une seconde nature. La fuite devant l’imprévu. L’habitude comme seule religion.

    C’est un magasin de jouets. Un de ces nouveaux magasins de jouets, rempli de petits engins électroniques. Pas de trains électriques, qui sont perdus à jamais. Où sont les maisonnettes, les petits champs délimités de clôtures de bois, leurs vaches, les gardes-barrière, et les montagnes aux sommets enneigés ?

    Je jette un bref regard de côté. Je l’entends d’où je suis. J’entends sa voix, son rire. Elle doit être ivre, ce qui ne lui arrive pas souvent.

    Non. C’est pire que ça.

    Elle est heureuse.

    L’une de ses mains repose sur la cuisse de l’homme, bien à plat, les ongles peints d’opaline parfaitement accordés au gris du pantalon. Rien de très scabreux, juste une main posée sagement, comme un signe de possession. Elle doit sentir la chaleur du muscle, les petites trépidations involontaires de l’adducteur. Elle se sert de cet appui, accrochée à la jambe de l’homme, pour se retenir lorsque sa tête part en arrière, lorsqu’Elle ouvre la bouche et qu’Elle ferme les yeux, lorsqu’Elle se met à rire de façon insoutenable.

    J’ai une soudaine érection brutale, une réaction inexplicable qui me prend au dépourvu.

    Il faut que je me cache, que je me retourne vers la vitrine. Je voudrais disparaître. Ils ont l’air tellement…, je ne sais pas, tellement à leur aise. Je ne comprends pas.

    La froide explication, logique, me tombe dessus comme un pot de fleurs du troisième étage, me brisant l’occiput avec un craquement horrible.

    C’est parce que tout le quartier est déjà au courant. Bien sûr. Certainement. Je suis le seul à qui l’on continue de mentir, le dindon de la farce, ou peut-être même pas, un mari insignifiant qui finira bien par partir et qu’on a déjà oublié. J’ai une espèce de hoquet qui peut passer pour un rire, tant la situation m’apparaît soudain comme étant risible et ridicule. Le cocu. Le mari trompé. La plaisanterie qui fait rire tout le monde.

    Une rage sourde monte en moi mais je ne sais qu’en faire. Alors, je décide de ne plus rentrer à la maison.

    Je me retrouve seul au monde. Debout, mais honteux, me détournant des autres pour qu’ils ne me voient pas, bandant devant un train électrique qui n’existe pas.

    *

    La nuit, je dors dans ma vieille voiture dont j’ai rabattu la banquette arrière. Elle est garée un peu plus loin, hors de la zone des stationnements interdits et de ceux qui sont payants. Je n’ai pas envie que la fourrière me l’enlève. C’est la seule chose qui me reste. On m’a volé mes papiers d’identité. On m’a volé mon pardessus.

    On m’a volé ma femme.

    Quand je m’éveille il fait grand jour déjà. La meule du tram arase le rail du coin de la rue et me fait sursauter. J’ai mal au dos, à la nuque, chaque jour. Chaque jour, je passe les doigts dans ma barbe sale en me disant que j’ai besoin d’un verre.

    Je les aperçois depuis la terrasse où je suis installé. Je les observe de loin. Ils ne se tiennent pas par la main, non. Elle fait un signe de tête à son compagnon après avoir traversé la rue, voudrait lui montrer quelque chose, toute sa détermination pointée dans le menton inquisiteur, vers une vitrine, quelque chose qu’Elle a remarqué, en professionnelle, ne manquant jamais de comprendre toute la portée d’un détail caché.

    Elle ouvre la bouche puis se ravise, tant il est vrai qu’Elle a compris – depuis longtemps j’en suis convaincu – que toute logique masculine est vaine et verbeuse et n’atteint jamais la réalité des choses qu’elle prétend gouverner.

    Ils retraversent alors pour venir s’assoir en terrasse, pour prendre un pousse-café, comme d’habitude, ou plutôt un pousse-mari, un pousse-époux, un pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. Il vaudrait mieux que je m’éclipse. Il faut que je dégage. Vite. Je me réfugie à l’intérieur, poursuivi par le garçon qui n’aime pas que je mette les pieds ici. Je lui commande un verre de bière, qu’il me sert à l’autre extrémité du bar, à l’écart du passage et des regards de la clientèle.

    Il disparaît alors comme par enchantement, comme le font tous les garçons de café. Je ne sais pas si vous l’avez déjà remarqué. Dehors il fait incroyablement clair, tellement que j’en ai mal aux yeux.

    Il me semble que je connais cet homme. Je n’en suis pas sûr parce qu’il est à contre-jour. Sa silhouette se détache dans l’ouverture de la porte. Il s’approche, avec une sorte d’hésitation. Je m’aperçois qu’il porte ce pantalon de serge peignée que j’affectionnais tant. Il me regarde et m’adresse la parole.

    Je me lève et je trébuche, me hâtant sans raison vers la porte du fond qui donne sur un purgatoire puant, que je ne referme pas, non, pas complètement. Je la laisse presque contre, comme on dit dans ce pays qui m’a vu naître et que je hais maintenant.

    J’observe l’homme au travers du mince interstice. Pourquoi est-il venu vers moi en évitant mon regard ? M’a demandé si je n’avais pas vu le garçon ? Une question à double sens, j’en suis sûr. Je n’ai pas su quoi lui répondre, lui ai rétorqué qu’il reviendrait de suite, me suis échappé au plus vite, car sa présence m’était devenue insupportable.

    Il est assis à ma place, ou presque, à l’autre bout du comptoir. Sans vergogne il s’enfile une grande rasade de mon verre de bière, se lève et s’en retourne d’où il vient.

    Je voudrais aller m’asseoir en terrasse, profiter des derniers rayons de soleil de cet automne triste, observer les pigeons qui reviennent continuellement picorer sous les tables, nous épiant tous, autant que nous sommes, sans que personne ne s’en aperçoive, se rapprochant autant que nécessaire, ralliant des comparses pour multiplier les points de vue sur notre intimité la plus secrète. Dès que je m’accroupis sous l’une des tables, ils s’éparpillent.

    Après quelques instants, ils reviennent. Ils avancent par saccades, avec un drôle de balancement chaloupé. Secouant la tête de gauche et de droite, le regard fixe, absent. Je fais un petit signe discret à Sam Fletcher.

    Sam n’est pas militaire, non, Sam est opérateur. Un opérateur qu’ils ont formé en trois mois, pour intervenir sur un système épatant, qu’ils viennent de mettre au point : un mécanisme bionique que l’on greffe sur des pigeons vivants, pour pouvoir ensuite les piloter à distance.

    Ce matin, il se passe quelque chose d’inhabituel. Sam hausse un sourcil. Les gens qu’il filme ne sont pas censés être au courant.

    C’est mon visage qui vient d’apparaître à l’écran. Je suis accroupi sous une table verte, ronde, comme celles qu’on voit dans le midi de la France. Je sors la main gauche de mon imperméable, lui fais un petit signe de connivence.

    Je me relève en prenant soin de ne pas me cogner la tête. Je viens trottiner derrière les pigeons, agitant maladroitement les ailes de mon imperméable pour garder l’équilibre, secouant la tête de gauche et de droite, le regard fixe, me rapprochant au plus près, les touchant presque, oui, presque.

    Ma performance est saluée par quelques applaudissements en terrasse.

    Alors je me rassois. Je me drape dans une espèce d’indifférence froissée, comprenant que ma conduite est ridicule, que certains détails de cette histoire m’échappent encore, qu’il faudrait que j’y réfléchisse.

    Et puis je réalise, avec un peu d’effroi, mais de la surprise aussi, que cet automne à la belle lumière oblique ne finira jamais plus.

    Même rédacteur·ice :

    François Capet s’entête à propos des concours de nouvelles. Imaginez la belle occase ! Discourir sur l’air du temps, inventer d’improbables personnages, bricoler des histoires qui vacillent et qui tanguent. Pour tout vous dire, en général, ses histoires finissent par se casser la gueule, tout simplement. Mais le bougre persiste. François Capet n’est presque jamais primé. Ce qui doit sans doute prouver quelque chose. Quand on lui pose la question, il incrimine sans vergogne la qualité des jurys.

    Voir aussi...