critique &
création culturelle

Des Estivantes

Déconstruire pour mieux reconstruire

© Jérôme Dejean

Après Ivanov, Georges Lini nous présente Des Estivantes le volet deux de son triptyque sur les textes russes, à voir aux théâtre des Martyrs jusqu’au 12 octobre. Au détour d’une fête qui rassemble 14 personnages, on plonge ici dans une adaptation moderne et plus épurée du texte de Gorki qui souligne la vacuité de l’ancien monde tandis que les femmes se positionnent sur un autre avenir.

Des Estivantes, voilà un titre de Gorki féminisé… On en attendait pas moins de Georges Lini qui nous a habitué à mettre en scène des Antigones modernes (La sœur de Jésus-Christ, Queen Kong et Iphigénie à Splott) aux allures de guerrières qui défient le patriarcat, l'ancien monde avec véhémence, colère et courage. Dans Des Estivantes on retrouve cette prise de position sur un monde dépassé à déconstruire pour mieux en reconstruire un autre… et cela passera par une position forte et affirmée des femmes.

Si on retrouve le parti pris du metteur en scène sur une scénographie minimaliste dans Des Estivantes, l'effet lumière se veut un personnage à part entière. L'acte un démarre plein feu sur la salle, laissant les spectateurices interpellé·es directement dans une confusion entre acteurices et personnages. Le décor, lui, s'installe petit à petit. Chacun·e des 12 convives fortuné·es, venant de la salle, apportent leur chaise chez leurs hôtes non moins fortunés, Bassov (Stéphane Fenocchi ) et sa femme Varvara (Léone François). Dès l'acte deux, le ton est donné. Les acteurices se transforment rapidement en machinos le temps d'illuminer le vieux salon bourgeois qui les accueillent pour une fête où chacun·e va tenter désespérément de trouver unle sens à sa vie. Quelques lustres descendant du « grill » (entendez, plafond de la scène) et nous voilà dans un décor plus intimiste, de ces ambiances qui incite à délier les langues. S'installent la fête, l'alcool, les rumeurs et les paroles acerbes.

© Jérôme Dejean

Le côté intergénérationnel et le mélange des genres des personnages entrainent un conflit : l'ancien monde souhaite rester sur ses acquis et traditions alors que les femmes se positionnent en faveur d'une évolution des mœurs et se questionnent sur le sens à donner à leur vie. On y voit une Varvara attristée et en proie à d'incessantes remises en cause de ce monde révolu qui continue pourtant de tourner et une Maria (France Bastoen) qui s'impose avec force et élégance ayant déjà tranché et fait fi de ce monde dépassé. Quant à Ioulia (Marie Van Puyvelde), son mode de vie semble en rupture avec les conventions de ce monde.

Les règlements de compte se font sentir, on est sous tension et on le restera jusqu'à la fin de la pièce. Les mouvements incessants des convives accompagnent des dialogues directs et engagés où chacun·e vient se dévoiler. Le débit est vif et on aimerait parfois mettre sur pause et rembobiner pour noter quelques phrases qui nous correspondraient presque. Car si l'ambiance pourrait paraître intemporelle, les costumes de soirée des comédien·nes eux sont très modernes et seuls les prénoms des personnages aux consonnances slaves nous rappellent que l'œvre de Gorki se situe dans une ancienne Russie aristocratique (Les Estivants, 1904). 

© Jérôme Dejean

Tout comme Ivanov de Tchekhov présenté il y a deux saisons au théâtre des Martyrs, Georges Lini ne réécrit pas mais réinvente l'œuvre ; iI la modernise. Exit communisme et marxisme, Maria le dit en début de pièce : « On m'a enlevé toutes mes répliques marxistes ». On sait bien dès lors que l'on ne viendra pas chercher un débat pour ou contre le communisme et pourtant… débat politique, il y a sur scène : que peut-on garder de cet ancien monde, doit-on tout renier, tout détruire pour reconstruire et reconstruire quoi ? Chacun·e tente de répondre. Chalimov (Vincent Lécuyer) va jusqu'à déclamer du Boris Vian en tentant de trouver réponse non pas dans la mort mais dans la vie.

« (…) Je voudrais pas crever

Sans avoir essayé

De porter une robe

Sur les grands boulevards

Sans avoir regardé

Dans un regard d’égout

Sans avoir mis mon zobe

Dans des coinstots bizarres »

Enfin on notera l'engagement des acteurices sur scène pour défendre leurs convictions et également des moments dansés qui donnent force à l'engagement et mettent en exergue le parti pris d'une mise en scène simple, percutante et efficace.

© Jérôme François

Après Ivanov, Georges Lini nous présente avec Des Estivantes le volet 2 de son triptyque sur les textes russes. On a déjà hâte de découvrir le troisième volet mais avant cela, on ne manquera pas d'aller voir encore Des Estivantes au théâtre des Martyrs jusqu'au 12 octobre.

 

Un article de Sabine Jean, écrit dans le cadre de l'atelier d'initiation à la critique culturelle animé par Karoo au théâtre des Martyrs le 06 ocotbre 2024.

Même rédacteur·ice :

Des Estivantes

texte de Maxime Gorki
traduction de Andre Markowicz
adaptation et mise en scène de Georges Lini
Avec France Bastoen, Melissa Diarra, Marie du Bled, Elfee Dursen, Stéphane Fenocchi, Léone François, Thierry Janssen, Jéremy Lamblot, Vincent Lecuyer, Léopold Terlinden, Luc Van Grunderbeeck, Marie Van Puyvelde, Felix Vannoorenberghe, Medhi Zekhnini
Scénographie & costumes : Thibaut De Coster & Charly Kleinermann
Création lumières : Jérôme Dejean
Composition musicale : Pierre Constant & Francois Sauveur
Choregraphie : Emmanuelle Lamberts
Régie plateau : Marc Grandmougin
Régie lumière et son : Candice Hansel
Assistanat è la mise en scène : Sebastien Fernandez

Vu au Martyrs le 06 octobre 2024.

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