Noise en scène
Cet épisode se concentre sur le documentaire Noise , en remontant le temps jusqu’à la genèse du festival qui en a fait l’objet et les artistes choisis par Assayas. Nous verrons comment son intérêt pour le bruitisme, présent dès le début de sa carrière, trouve son chemin et accomplissement jusqu’au documentaire.
Après une première partie avec Sonar à pleine puissance pour « écholocaliser » le noise dans la filmographie d’Assayas, on a pu conclure que Noise n’est pas seulement un documentaire faisant le compte-rendu d’un festival, mais une sorte de glue qui relie entre eux ses précédents films pour en arriver à un « Assayas Cinematic Universes » .
Quand on évoque l’ Assayas Cinematic Universe, ce n’est en effet pas uniquement pour souligner les connexions entre ses films, mais également l’absence de rupture entre la vie et le cinéma. Car dans Assayas Cinematic Universe, il y a surtout Assayas. La rencontre des mondes de l’imaginaire et de la « réalité » commence d’ailleurs avec l’organisation de l’édition de 2005 du Art Rock Festival de Saint-Brieuc. L’événement briochin donne carte blanche à Assayas pour composer le line-up du 2 juin. Le réalisateur se fait alors clairement plaisir en invitant non seulement des artistes en accord avec ses sensibilités musicales, mais également des connaissances l’ayant accompagné jusque dans ses réalisations, leur donnant le champ libre à l’improvisation comme il l’a souvent fait pour ses propres films. Le documentaire s’attarde quant à lui sur ces quelques heures (précisément de 19h à 3h du matin) où ont coïncidé de façon singulière toute une palette d’univers et de registres. Non content d’en faire un simple compte-rendu, Assayas en profite pour rebattre les cartes et donner à ce qui ne serait sinon que captation une dimension cinématographique.
Sans aucune surprise, présent au grand complet durant le festival, Noise fait la part belle à Sonic Youth à quelques années près de leur séparation. Sur les près de deux heures de film, un peu plus de trois-quart d’heures sont consacrés à des side projects de leurs membres : Mirror/Dash, Text of Light et celui de Jim O Rourke.
Mirror/Dash se présente ainsi comme le projet d'improvisation de Thurston Moore et Kim Gordon (que l’on retrouve aussi dans Boarding Gate en 2007), sur des expérimentations et compositions entre guitares et chant, dans un iconoclasme propres aux deux musiciens. Il voit le jour en 1992 pendant la période charnière du groupe, ne publie que peu de matériel tout le long de sa durée jusqu'à 2005 et 2006 où ils reviennent le temps de quelques représentations telle que celle-ci, et la publication de nouveau matériel.
De l’autre côté, Text of Light met en scène le guitariste Lee Renaldo et le batteur Steve Shelley. Créé en 1999, il tire son nom d'un des films du réalisateur américain Stan Brakhage, sur lesquels les deux musiciens improvisent des paysages sonores. On retrouve ici une pratique chère au réalisateur Assayas, qui mêle le cinéma à la musique parfois sur le vif, comme lorsqu'il avait demandé au groupe Sonic Youth d'improviser la bande-son d'un de ses films ( Demonlover ) au moment du tournage et sur retours d'extraits.
Avant cela, nous découvrons les projets Le Début de l’A et White Tahina , où la dissonance s’associe à une certaine collision des cultures. Pour le premier, projet de lecture musicale créé par la Comédie Française et racontée pour l'occasion par Kate Moran et Pascal Rambert, accompagnés à la guitare par Alexandre Meyer, dans un poème à deux voix, l'une à Paris et l'autre à New-York.
White Tahina, également projet « à deux voix », réunit les musicien·nes français·es Vincent Epplay et Joana Preiss depuis 1998. Traînant leur dissonant orchestre ambulant dans des lieux qui vont des plus communs tels les galeries, centres d'art, festivals, aux moins communs clubs échangistes ou obscurs films étrangers, leurs performances et accompagnements sonores allient bootlegs, reprises où se mêlent des sonorités typiquement allemandes. La constante est la voix de la chanteuse (qui chante également en allemand) tentant de dominer ou se noyant parmi ce chaos sonique. On peut la voir dans des films d'Olivier Assayas : Fin août, début septembre, Clean, Paris je t’aime et Boarding gate.
Autre invitée figure du paysage cinématographique et culturel français, l'autrice-compositrice, comédienne et poétesse Marie Modiano présente l'album né l’année même d'une collaboration avec l'auteur et compositeur de musiques de films Grégoire Hetzel. L'anglais se présente comme sa langue de prédilection pour l'écriture, et sa vie et sa carrière montrent un attrait général pour l'exotisme (ses rencontres, études à Londres). Elle rencontre Assayas lors de ses premiers pas dans la comédie, qu'elle délaisse ensuite pour l'écriture et la musique, le réalisateur ayant aussi dit voir en elle davantage l'élan direct d'une créatrice que la passivité d'une actrice.
Un parcours aux teintes similaires, quelques participations aux côtés d’Assayas ( Fin août , début septembre , Clean ), Jeanne Balibar apparaît sur scène comme une évidence. Son premier album, Paramour , est sorti deux ans plus tôt. Si ce n’est l’occasion d’entendre Maggie Cheung, figure clé dans l'œuvre d’Assayas, en duo sur le morceau Hélas, résonnent néanmoins les paroles de Rose . Me laissant personnellement rêver éveillé d’y voir une trace de Rrose Selavy, pseudonyme de Marcel Duchamp.
Mais, faute de voir fantasmes et réalités se mélanger, il est toujours possible de voir fiction et réalité se croiser. Alors que le groupe canadien renommé internationalement Metric était déjà en concert dans la fiction nommée Clean , les voilà qui réapparaissent sous les traits d’un groupe tout ce qu’il y a de plus réel. Emily Haines, l’actrice de quelques secondes, redevient l’actrice de sa propre vie, à moins qu’elle n’ait jamais cessé de l’être.
En s’éloignant des scènes françaises pour décoller vers l’Afrique, on découvre Alla et Afel Bocoum . Étant donné que la terre étrangère de prédilection d’Assayas est plutôt extrême-orientale, ces choix peuvent étonner quiconque suit les grandes lignes de son aventure cinématographique. Pourtant, ils sont on ne peut plus cohérents une fois approchés d’un peu plus près. Afel Bocoum est un musicien malien mêlant guitare, instruments de musique africains et langues locales. Engagés, ses morceaux sont une ode à la tolérance, au respect de la femme et à la diversité. Sans être spécialement bruitiste, son style musical peut être rapproché de la bande originale de Fin août, début septembre , puisant dans le répertoire de l’immense Eli Farka Touré. Et pour cause ! Afel Bocoum n’était rien de moins que son disciple. Le noise est toutefois de la partie avec Alla. Derrière ce palindrindrome s’épanouit une musique aux contours plus rebelles qu’ils ne laissent paraître dans les quelques notes qu’il y égraine. Sa musique de tradition sahraoui ne signifie pas mélodies stéréotypées. Elle ouvre la porte aux expérimentations et improvisations à base de divers ustensiles, introduisant une touche plus bruitiste. Il n’est donc pas étonnant que, lui-même ouvert à l’improvisation, Olivier Assayas l’ait convié à la fête.
Alyssa Martini & Benjamin Sablain