critique &
création culturelle

Chernobyl

Capables du pire, comme du meilleur

Qui n’a jamais porté en dérision les films ou séries catastrophes ? L’enjeu permet à ces œuvres de tenir sans mal le spectateur en haleine, grâce – entre autres – à des scènes d’actions spectaculaires, au détriment d’une identification aux personnages qui laisse parfois à désirer. Chernobyl, créée par Craig Mazin, place à l’inverse ce dernier critère au centre de son récit, dans un contexte qui n’en demeure pas moins suffocant de gravité.

La série démarre le soir de la catastrophe nucléaire de la centrale Tchernobyl de Prypiat, survenue le 26 avril 1986. Longue de cinq épisodes d’une heure, elle va certes dépeindre cette tragique nuit, mais également montrer les jours, les semaines, les mois qui ont suivi, pendant lesquels on ne pourra que constater que les nombreux personnages ne sont guère moins impuissants que nous, simples spectateurs. Valeri Legassov (Jared Harris), directeur adjoint de l’institut d’énergie atomique de Kourtchatov, et Oulana Khomiuk (Emily Watson) – personnage fictif représentant toute l’équipe de scientifiques qui a réellement œuvré aux côtés de Legassov – doivent faire face à quelque chose que l’humanité n’a jamais connu. 

En surface, l’angle de lecture attendue d’une telle série américaine est de montrer que la cause et la gestion de cette catastrophe n’est que l’œuvre de mensonges et d’erreurs humaines motivées par le pouvoir. La question posée en début et en fin de série par le personnage principal en est la preuve : « What is the cost of lies? » C’est ainsi qu’on constate un contraste ahurissant entre l’ampleur du drame et la réaction de certains  personnages. Car, comble de la difficulté, nos protagonistes doivent, façon Don’t Look Up, se plier en quatre pour faire comprendre la situation aux différents bureaucrates et hauts fonctionnaires, notamment le ministre des combustibles et de l’énergie, Boris Chtcherbina (Stellan Skarsgard). Ce dernier, dans un premier temps arrogant, s'avère certainement le plus important et intéressant des personnages. 

La série n’oublie donc pas de pointer du doigt cet aspect de la responsabilité humaine dans un devoir de souvenir, en nous montrant un panel de personnages subissant la catastrophe ou luttant contre elle (pompiers, médecins, liquidateurs, habitants évacués…). Elle cherche aussi à exposer la réalité qui s’affranchit des différents mensonges et rattrape leurs auteurs. C’est ainsi qu’on nous montre, lors du deuxième épisode, un conseil soviétique des ministres surplombé par Mikhaïl Gorbatchev (David Dencik) sans voix face à la sur-catastrophe imminente, ses conséquences (une Europe de l’Est inhabitable), et le moyen pour l’éviter (sacrifier trois techniciens qui devront parcourir les sous-sols contaminés de la centrale). Le même regard pourra se lire sur les directeurs de la centrale, comprenant finalement tout ce qui a été causé par leur faute, lors de la diatribe de Legassov pendant le procès, plus d’un an après l'événement.

Enfin, pour revenir à lui, on peut également constater à plusieurs reprises cette fracassante réalité avec le ministre Chtcherbina. Son visage décomposé parcourt la série pour symboliser cette fatalité tandis qu’il comprend qu’un seul passage en hélicoptère au-dessus du réacteur en feu pourrait le tuer en quelques jours ; mais aussi lorsque, dans une scène presque comique, on le surprend à s’énerver sur son téléphone parce que le robot prêté par les Est-Allemands pour nettoyer le toit de la centrale des débris radioactifs n’a été conçu que pour le niveau de radiation annoncé par la propagande soviétique ; enfin au moment où il apprend qu’il ne lui reste pas plus de cinq ans à vivre du simple fait de se tenir à Prypiat pendant l’urgence. Comme précisé plus tôt, ce personnage gris se révèle le plus important, comme Legassov le souligne dans une poignante scène du dernier épisode.

« Of all the ministers and all the deputies, an entire congregation of obedient fools, they mistakenly sent the one good man. For God’s sake Boris, you were the one who mattered most. »

Pierre-Yves Rossetti

Même rédacteur·ice :

Chernobyl

création : Craig Mazin
Avec Stellan Skarsgard, Jared Harris, Emily Watson, David Dencik
États-Unis, 2019
5 épisodes d’une heure

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