Continuons notre exploration du festival Millénium avec Forever Pure de Maya Zinshtein, un documentaire puissant sur la xénophobie d’une partie de la société israélienne.
Le Beitar Jérusalem F.C. est un club de foot historique. Fondé en 1936, il a toujours été lié à aux luttes de pouvoir politique en Israël et incarnait à l’origine l’une des franges les plus à droite du mouvement sioniste. Dans les années 2000, ses supporters sont toujours considérés comme proches du mouvement nationaliste et du
Likoud.
Forever Pure raconte l’histoire tragique de la saison 2012-2013 : après des années à vivoter au bas du classement du championnat israélien, une série de victoires rapproche le Beitar du podium. Les supporters, et notamment les ultras de « La Familia », exultent. C’est alors que le propriétaire du club, l’homme d’affaire controversé (et même recherché par la justice française) Arkadi Gaydamak, décide d’engager deux joueurs tchétchènes et musulmans.
Dans les tribunes, c’est la chienlit. Les supporters refusent de voir des « Arabes » (sic) jouer au Beitar ; les insultes, criées et chantées, fusent ; les banderoles racistes se déploient. Sur l’une on peut lire : « Beitar toujours pur ». Le bras de fer entre le club et les supporters va durer jusqu’à la fin de la saison. « La Familia », qui est à la pointe du combat, réussit à vider presque entièrement les tribunes pendant plusieurs matchs. Et les défaites s’enchaînent.
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On ne voit pas le temps passer avec Forever Pure . Le documentaire est haletant, calant son rythme sur celui de la saison du championnat ; le Beitar grimpe dans le classement, puis dégringole. Les séquences d’entretiens sont vites avalées par les images saisies sur le vif. Le film déborde de couleurs : le vert, blanc, rouge du stade de Grozny en Tchétchénie, le jaune et noir du Beitar et surtout de ses supporters ; le rouge du club arabe contre lequel ils vont jouer… Le monde du foot est un monde héraldique.
Et c’est l’intelligence de Maya Zinshtein de montrer beaucoup de choses sans les dire : les sentiments communautaires, cette sorte de contre-société de supporters ultras du Beitar est visible, au-delà des mots et des actes, grâce aux couleurs. Inclusion, exclusion… Le rejet raciste des deux joueurs tchétchènes commence au moment où ils endossent le même jaune et noir que les ultras, au moment où ils portent l’écusson du club : un chandelier à neuf branches. Eux qui n’avaient rien demandé à personne, qu’on a envoyés là-bas pour des raisons politiques et économiques.
Le paradoxe de la société israélienne éclate dans l’esprit des spectateurs : comment un État qui s’est construit contre l’holocauste, le nazisme et l’antisémitisme a-t-il pu engendrer une banderole « Toujours pur » ? Bien sûr, il y a le conflit israélo-palestinien, il y a eu les guerres avec les Arabes – mais ce qui apparaît avec l’affaire du Beitar, c’est un racisme exacerbé et absolutiste. C’est, même dans l’équipe, entre les joueurs eux-mêmes, une atmosphère de suspicion latente. On a l’impression de voir émerger une haine exponentielle, forte tant qu’elle n’aura pas vaincu et encore plus forte quand elle l’aura fait.
Le dénouement de cette fameuse saison 2012-2013 renforce encore ce sentiment : les deux joueurs repartent en Tchétchénie ; le capitaine et le président du club, qui les avaient défendus, doivent quitter le Beitar ; le joueur qui s’était affiché avec les ultras devient le plus jeune capitaine de l’histoire du championnat. « La Familia » a gagné : elle a prouvé qu’une équipe n’est rien sans son public, que l’énergie vitale vient des tribunes.
Malgré tout, Maya Zinshtein montre aussi les résistances, comme ces supporters luttant contre l’influence de « La Familia » et le racisme ou ces joueurs qui ont accueilli fraternellement leurs camarades. La réalisatrice essaie aussi de présenter le rôle trouble de Gaydamak, qui prétend à la fin avoir agi par instinct de provocation, mais dont l’intérêt immédiat semble avoir été de faire des affaires avec le régime de Ramzan Kadyrov .
Forever Pure n’est pas un manifeste ni un programme. Il pose le problème, le montre sous toutes ses coutures, il ébranle mais n’offre pas les réponses. Son dynamisme et sa fluidité sont au service de la clarté de son propos. En entrant dans la salle, on prend le risque de recevoir une gifle, d’être secoué par l’état du monde et par la terrible ironie de l’histoire. Je suis heureux qu’il ait remporté l’Objectif de Bronze du Millénium, il le méritait.