Il était une fois Bruxelles
Pour Karoo,
Thibault Scohier
part à la découverte
de la sélection 2016-2017
du
prix des Lycéens de littérature
:
voici
Finis Terræ
de Nathalie Stalmans.
Finis Terræ raconte l’histoire de la rue Neuve de Bruxelles, de son fondateur et de ses descendants. C’est, derrière ce prétexte, une manière pour Nathalie Stalmans de présenter cette région qui n’était pas encore la Belgique, et de suivre les bouleversements qui la secouent au cœur du sanglant XVII e siècle.
En effet, ce territoire compris entre les Provinces-Unies (les actuels Pays-Bas) et la France s’est trouvé au centre de bien des conflits militaires. L’ouvrage s’ouvre sur l’exécution d’une hérétique anabaptiste, dernier soubresaut bruxellois des guerres de religions qui ont déchiré l’Europe entre catholiques et protestants. Les personnages traversent ensuite la guerre de Quatre-Vingts Ans qui oppose la monarchie espagnole et les Provinces-Unis. À la fin de la guerre, l’actuelle Belgique, alors les Pays-Bas méridionaux, demeurent sous contrôle de la couronne des Habsbourg d’Espagne.
S’ensuivent encore quatre conflits : la guerre franco-espagnole ; la guerre dite de Dévolution, pendant laquelle les prétendants à la couronne d’Espagne s’affrontent ; la guerre de Hollande et enfin la guerre de la Ligue d’Augsbourg, pendant laquelle Bruxelles est bombardée au canon par les Français et où sont détruits un grand nombre de bâtiments à l’intérieur des murailles, notamment ceux qui entourent la Grand-Place.
On me pardonnera cette énumération un peu sèche, mais elle me permet de mettre en lumière l’intérêt du livre de Stalmans : donner un cours d’histoire par le truchement de la fiction. Au-delà des éléments purement anecdotiques, comme le fait de savoir que l’hôpital Saint-Pierre a été construit sur une ancienne léproserie et le Palais de justice sur une ancienne potence, c’est surtout l’atmosphère de l’époque que l’auteure parvient à transmettre. Même si les protagonistes sont presque tous des bourgeois, on constate les effets de la guerre, de la famine, du régime politique parfois très dur…
Le procédé de fictionnalisation historique a toutefois ses limites. En choisissant de suivre plusieurs générations dans un ouvrage de quelque deux cent trente page, Stalmans ne nous laisse pas le temps de créer de véritables liens empathiques avec les personnages. Finis Terræ ressemble plutôt à un recueil de petits récits historiques, liés par les liens familiaux des protagonistes, jouant sans cesse sur les genres littéraires – narration à la troisième puis à la première personne, lettres, etc. Les personnages sont avant tout des fonctions dans l’ordre social qu’on nous montre et qui est la vraie finalité de la narration.
Autant l’utilisation d’individus ayant vraiment existé et ayant participé à l’histoire de Bruxelles renforce la crédibilité de la démarche, autant on ne peut pas attendre d’un « roman » une simple palette de silhouettes qu’on effleure avant de passer à autre chose. Autant l’utilisation de chansons d’époque ajoute une dose de folklore très authentique, autant les péripéties sont clairement construites artificiellement pour permettre à l’auteure d’aller d’un bout à l’autre du siècle.
Ce qui est surprenant, c’est qu’une fois l’intérêt historique dépassé et l’intérêt romanesque oublié, le lecteur se prend à se rêver marcher dans les pas de ces Bruxellois d’un autre temps. Comme la ville était différente ! Elle n’avait pas encore jeté une tombe sur la Senne, cette rivière sur laquelle dérivait tant de barques et de marchandises ; elle n’avait pas encore abattu ses deux séries de remparts, quoique, pour les plus anciens, les boulets français aient décidé pour les habitants. Qu’il est difficile d’imaginer le quartier du Bovendael, les actuelles Marolles, fermé par de grands guichets qui barraient les rues, pour contrôler l’identité des « gentils hommes » qui fréquentaient ses bordels.
On redécouvre une ville qu’on connaît mais qui a gardé bien peu de souvenirs de cette époque. Voir la rue Neuve être tracée, par un jeune bourgeois qui en profite pour spéculer (fort mal) sur la rente immobilière qu’il pourra en tirer, donne le tournis. Il suffit de se rendre à la rue Neuve, aujourd’hui, et de réfléchir un instant : il fut une époque où l’on n’apercevait que des champs, des bâtisses branlantes et une petite église en bois. La double source de Finis Terræ nous sautera aux yeux : d’abord l’ancestrale maison sise au numéro 43, dont les fondations datent du XVII e siècle et, plus loin, l’église du Finistère qui lui a donné son nom.
Le livre de Nathalie Stalmans a le mérite d’éduquer son lecteur et tous ses défauts proprement romanesques ne suppriment pas le plaisir de découvrir un monde enseveli sous le temps et le béton. Il est à conseiller à tous les amoureux de Bruxelles, aux passionnés d’histoire et à tous les curieux qui se demandent à quoi ressemblait leur rue il y a quatre cents ans.