Karoo s’est piqué du premier recueil de poèmes de Cécile Coulon, les Ronces . Révélation de la scène poétique française, il ne faut pas passer à côté !
On entre dans l’univers de Cécile Coulon par la porte d’un durumier ; l’un de ces multiples snacks qui peuple toutes les villes européennes. Et partout, la même ambiance populaire, vivante, la même odeur d’huile et de friture, le même éclat de papier sulfurisé. Le premier poème des Ronces donne le ton : pas d’envolées lyriques ni d’idéalisation. La vie courante. Banale. Et pourtant chantée et racontée dans une succession de vers libres et agiles.
Rarement un recueil de poésie m’a semblé si bien faire parler son époque. L’époque sensible, partagée par la lectrice et la poète. Même si Cécile Coulon s’évoque, fait partager le privé et le Moi, elle ne coupe jamais les ponts du ressenti commun. Sa poésie fait écho, remémore, narre, touche la corde sensible. Loin du trip égocentré ou de l’errance intérieure – qui ont aussi leurs mérites littéraires – le « je » de la poète se met au service de la langue et, à travers elle, de la subjectivité des autres.
je suis resté là
à penser qu’il ne faut pas choisir
à penser qu’il ne faut pas penser
car penser c’est subir
le poids de ce qu’on n’aura jamais
Extrait de « Une lionne rouillée »
Quand elle parle des lieux qui l’ont marqué et qui la marquent encore, des falaises d’Eyzahut ou des volcans du Vanuatu, elle fait entrevoir l’aura, cette sédimentation d’émotions, de souvenirs, de beauté naturelle, qui couvre les endroits familiers. On sent résonner la tristesse, la mélancolie, l’espoir, le bonheur, l’amour… Pas seulement les mots, les idées-valises usées mille fois par la publicité et la communication ; non, la tristesse jusqu’à l’os, la mélancolie des draps déchirés, l’espoir à pleurer, le bonheur qui cogne, l’amour du souffle coupé…
Où commence la poésie et où s’arrête la prose ? Dans la versification ? Dans les procédés littéraires enluminant le texte ? Simplement, dans le rapport esthétique et spirituel à la langue ? Les Ronces sont indubitablement poétiques ; au-delà du vers, il y a le rythme, le sens de la formule et, surtout, la création d’un espace sensitif où le mot gouverne. Si les poèmes sont narratifs, c’est dans l’élision et le vide de la page que l’histoire se laisse imaginer.
Le même texte, écrit en prose, n’aurait pas eu le même rebond, la même capacité à enchanter le quotidien et le lecteur qui le découvre. Le vers libre prend ici tout son sens : celui de la respiration (même silencieuse) et de la déclamation (même pour soi-même). Si la poète n’est pas adepte de l’allitération ou de l’assonance, elle se laisse parfois aller à la paronymie ; ces petites décorations ne dénaturent pas le « réalisme » de son approche mais gratifient la lecture de leurs trésors épars.
Comme toujours il faut rentrer. Quitter les montagnes
pour d’autres montagnes. Quitter les ancêtres
pour d’autres ancêtres. Le même sang. La même pierre.
Les lacets de goudron entre les forêts
aussi profondes que les ravins qui les bordent.
Comme toujours, il faut rentrer. Quitter les troupeaux
pour d’autres troupeaux. Quitter une église pour
une cathédrale plus noire que les nuits d’ivresse sage
que nous passons là-bas, dans l’espoir
stupide de trouver, à l’ombre d’Eyzahut,
un peu de cette bienveillance naturelle
que nous ne possédons plus
qu’en bribes spontanées.
Extrait de « Eyzahut »
Avec ce premier recueil, Cécile Coulon frappe fort. Les Ronces c’est la vie : ça darde, ça s’enroule, s’entortille, il faut s’y frayer un chemin, parfois même ça s’arrache… Si c’était plus simple, ça manquerait de piquant. Notons encore que comme de nombreux auteurs de sa génération, la poète utilise les réseaux sociaux pour partager ses mots… il faut y jeter un coup d’œil, au risque d’y laisser traîner son regard un long moment !