Joué à Flagey ce dimanche 9 décembre dans le cadre du festival Music Chapel, Maurice est un spectacle mêlant marionnette et musique classique pour faire découvrir Ravel aux enfants.
La salle se remplit de parents, d’enfants et de quelques solitaires sans progéniture. Sur scène un homme attend au piano. Il est grand, même assis, et tient une tasse de café minuscule qu’il fait mine de siroter de temps à autre. Son regard balaie les bouillonnements du public avec bonhomie. Il salue de temps à autre, d’un geste noble, sa minuscule tasse se levant et descendant avec solennité. Je suis pris de sympathie et je suis convaincu que les enfants qui s’installent et roulent sur le parterre de coussins disposés devant la scène ressentent la même chose pour ce grand monsieur en costume qui les salue comme des adultes. Un claquement, les visages se tournent, les langues se lient, la séance commence.
Maurice est un spectacle hors norme. Piano et marionnette, chant lyrique et scène muette, la vie de Maurice Ravel est figurée poétiquement aux enfants et aux adultes. La simplicité et la cohérence cimentent ses différentes facettes et offrent aux yeux et aux oreilles des niveaux d’appréhension qui se chevauchent sans jamais se gêner ou s’annuler. Prenons la musique : jouée par deux pianistes talentueux, Victoria Vassilenko et Sergei Redkin, elle accompagne l’histoire tout en gardant son existence propre. On peut fermer les yeux, oublier un instant le reste du spectacle, et se plonger dans les notes, tandis qu’elle va jusqu’à entrer dans la diégèse du spectacle ; on voit la marionnette de Ravel composer et on entend ce qu’il compose. La création musicale tout entière se joue sur scène : invention, écriture, jeu ; du pianiste au compositeur, la magie se noue et nous est transmise.
Mais là où Maurice défie nos attentes (déjà bien remplies), c’est par sa capacité à fondre la didactique dans une mise en scène sonore et visuelle. Le grand homme du début, Bertrand Duby , à la fois narrateur, personnage et chanteur lyrique, raconte une histoire aux enfants : il avait un ami, Maurice Ravel, un grand compositeur, qui est mort il y a longtemps. D’emblée, la facilité s’évanouit devant le tragique de la réalité – oui, on va raconter une histoire, mais elle ne sera pas rose et pourtant belle. Ravel, c’est la marionnette, qui entre sur scène avec sa malle (à la fois maison, armoire et décors). Il a la taille d’un enfant et un visage sans âge. Délavé par la vie, quoique habité toujours par une étincelle qui transcende le bois taillé. Tout de suite, on a en a la certitude : il est bien vivant !
Le travail de Charlotte Devyver est impressionnant. Non seulement la marionnette est d’une humanité confondante, mais son jeu renforcera tout du long l’empathie des spectateurs à son égard. Ravel est mourant. Il a trop vécu, trop fumé, il arrive au bout. Et malgré tout cela, il compose et enchante. Voilà le mot qui pour moi résume le spectacle, l’enchantement sous ses formes les plus diverses : musicale, artisanale, théâtrale, simplement humaine. Enchantement de l’imagination. Maurice est un cas d’école : à l’heure où les écrans sont devenus omniprésents, où les effets spéciaux calculés par ordinateur se déroulent à longueur de films, il suffit d’un piano, d’une voix et d’une marionnette pour engendrer un monde et captiver les enfants et les adultes. La musique s’incarne dans l’histoire et l’histoire dans la musique ; la beauté naît du mélange des arts. Sans autre prétention que celle de conter.
Et d’initier. Car c’est aussi le merveilleux d’un spectacle comme Maurice , confronter les enfants à la musique classique, au chant lyrique, au théâtre. Sans aucun doute, il y a des dimensions de l’histoire qui demeureront obscures aux plus petits, mais les notes, les éclats cristallins d’un jeu de piano à quatre mains, le chant de basse d’un narrateur dont la voix devient tout à coup si profonde, la vie insufflée à une marionnette inerte, tout cela aura touché au moins une fois l’esprit de jeunes filles et de jeunes garçons. Tout cela aura nourri leur imaginaire et créé des liens entre la musique et les sentiments. On aurait tort de penser que les arts, de par leur nature subjective, sont accessibles immédiatement ou à force de consommation. Au contraire, nombre d’entre eux sont régis par des codes qu’il faut apprendre et des langages auxquels il faut s’initier.
Peut-être que parmi les dizaines de jeunes enfants qui se trouvaient à Flagey le 9 décembre 2017, une poignée réécoutera Ravel dans cinq, dix ou quinze ans. Les plus chanceux reverront encore et très vite des spectacles d’aussi bonne qualité que Maurice . Dans tous les cas, ces enfants auront en eux un bout de musique, un bout d’histoire, la figure d’une marionnette. Comme un rêve lointain où ils découvriront peut-être étonnés les clefs d’une musique superbe. Ravel est mort en 1937, il y a quatre-vingts ans. Et pourtant, il est toujours là. Remercions encore l’équipe de Maurice et sa metteuse en scène Sophie Van der Stegen de nous le rappeler et de l’apprendre aux enfants.