Virée islandaise pour Karoo cette semaine, avec La guerre du lait , thriller paysan et combat d’émancipation réalisé par Grímur Hákonarson.
Assistons-nous à l’émergence d’un nouveau genre ? Celui du thriller paysan ? Il est en tout cas incontestable que le monde de la paysannerie est au centre d’une nouvelle attention cinématographique. La consécration public et critique du Petit Paysan de Hubert Charuel en 2017 est sans doute la meilleure preuve. La sortie récente, en France, d’ Au nom de la terre d’Édouard Bergeon confirme ce nouvel intérêt et on pourrait aussi citer de nombreux films sur le monde rural, dont les souffrances et parfois les joies sont remises au premier plan. Mjólk, la guerre du lait s’ajoute en tout cas à liste des films décrivant le devenir crépusculaire de la paysannerie en Occident.
Dans ce film très pudique et presque documentaire, Grímur Hákonarson met en scène le combat d’Inga, éleveuse de vaches laitières en Islande. Sa ferme, isolée dans le nord de l’île, fait partie d’une coopérative sur le modèle scandinave : d’un côté, elle lui vend son lait et de l’autre elle lui achète tout son matériel et même ses biens ménagers courants. Mjólk (le conté ou le district), c’est un petit monde où tout le monde se connaît, où la coopérative est au centre de toute l’organisation sociale. Sur le principe, elle devait rendre les éleveuses islandaises1 autonomes et combattre les produits de l’ancienne métropole danoise… seulement, avec le temps, ses dirigeantes se sont enrichies, les prix ont explosé et les paysannes se sont endettées.
Le décès de son mari, qui survient au tout début du film, décide Inga à entrer en guerre contre la coopérative. D’abord ostracisée, elle parvient peu à peu à convaincre ses collègues et à profiter du mécontentement qui gronde contre les pratiques mafieuses de la direction. Le film prend son temps, fait ressentir à la spectatrice le flot d’une vie à rebours de celle des villes et du mouvement perpétuel. L’action se concentre en quelques moments de bravoure, gestes de défis et prises de décisions collectives où la fiction reprend ses droits pour donner, quand même, en guise de morale, une petite dose d’espoir.
Si la réalisation elle-même est assez classique, on appréciera les plans sur la mécanisation et la robotisation de l’élevage. Ceux-ci insèrent dans le réalisme très « terre à boue » du film une dimension d’étrangeté, de gêne. Comme si l’émergence de la modernité, au milieu des vaches, du purins et des silos, avait forcément quelque chose de barbare. Le réalisateur se permet également quelques plans poétiques en jouant sur les superbes paysages islandais ou sur un filet de lait spectral glissant sur le béton.
En visionnant Mjólk , il est impossible d’éviter la comparaison avec Woman at War , autre long-métrage venu d’Islande, racontant aussi le combat d’une femme contre le monde et une quête de justice. Les deux films sont comme les deux faces d’une même pièce : le premier montrant la réalité froide, sale et les moyens très pragmatiques d’agir sur les structures sociales ; le second préférant une approche idéaliste, parfois presque fantastique et faisant appel aux codes de genre – en représentant son personnage féminin comme une justicière, une combattante. Si le premier se termine par un débat et une prise de décision collective, le second fait la part belle à l’action individuelle, libertaire et parfois violente.
Même s’il est difficile de prendre autant de plaisir à regarder Mjólk que Woman at War , les deux long-métrages me semblent au fond complémentaires. Ils montrent deux voies d’action visant à changer le monde, l’une très modeste, l’autre plus explosive, mais dont la pratique simultanée n’est absolument pas contradictoire. Ils donnent tous deux à voir l’un des besoins les plus fondamentaux de notre époque : la quête d’un sens et d’un équilibre entre l’humanité et son environnement. Et ils ont aussi le mérite de mettre en avant des combats de femmes fortes et exemplaires.