critique &
création culturelle
Branche d’acacia brassée par le vent
de Florence Noël Éros frondaison

Karoo revient sur le recueil de la poétesse Florence Noël, publié par le Chat polaire, inspiré et illustré par des photographies de Pierre Gaudu. Une série de tableaux naturels dans lesquels se dessinent l’histoire d’un amour et de ses sensualités.

Des yeux inattentifs pourraient survoler Branche d’acacia brassée par le vent et n’y voir qu’une jolie déclinaison forestière, une poésie néo-romantique finement ciselée mais un peu creuse… Celle1 qui s’y plongera entièrement pourra entendre la musique des mots qui clochètent et des phrases révélatrices. Entre les branches et le vent, leurs danses et leurs caresses, une relation, entre ascension et déclin. L’acacia n’est que le drap sur lequel l’autrice projette une pellicule de souvenirs ; peut-être un miroir, peut-être un rêve.

Si la lectrice préfère au début les poèmes en vers, plus rebondissants, plus purs dans leurs élisions, elle découvre au fur et à mesure l’intérêt du va-et-vient entre vers et prose poétique. Les phrases se déploient avec un rythme immédiatement perceptible, une déclamation interne très vite identifiable et engageante. Le sous-texte, ou plutôt, l’ensemble d’images, de symboles et de briques imaginaires contenue entre les lignes, s’offre à l’interprétation au milieu de ce balancement sonore… À la lectrice de voir si elle souhaite raisonner ou laisser son inconscient dialoguer avec la poésie (et donc peut-être directement avec celui de l’autrice).

tu te déchausses de tes racines
et ton corps ploie au galbe de son tronc
tu te démets de ses ramures
couronne lassée de feu
dis-moi le glacé des herbes où ton paletot
s’écroule
et tes cités, et tes parades, et tes chimère
s’épandent
et à quel frère consolant reviendra
ta peau d’âme retournée ? (extrait du Troisième mouvement)

Florence Noël signe un recueil d’un romantisme neuf, charnel ; comme une réinterprétation d’une sonate de Guillaume Lekeu à la volupté douce. La construction du livre, en mouvements musicaux, reflète très bien cette dimension orchestrale, cette transformation du sentiment par les outils de l’art ; l’instrument et la plume. On se prête à imaginer une lecture avec quelques instruments à corde pour rehausser le chant des poèmes. Même si la voix intérieure de la lectrice trouve vite le ton, il est à parier que ces textes sont faits pour l’oralité et la mise en musique. Des extraits sont d’ailleurs disponibles en ligne, lus par l’autrice sur une musique de Bach !

Beaucoup de choses ont été écrites ces dernières années sur le rôle de la littérature et notamment sur sa dimension réparatrice, sur une littérature du care . Il m’a toujours semblé qu’on risque de sombrer rapidement dans une vision utilitariste de l’art, si on lui assigne un but purement et uniquement social. La poésie de Florence Noël pourtant a quelque chose de la revigoration. Sans abandonner une exigence de forme et de son résonnant, et même grâce à cette exigence, son recueil est une charge positive, une sorte d’îlot au milieu du chaos. Son naturalisme n’intervient que comme le reflet de notre mortalité joyeuse et dionysiaque.

Dans un monde balayé par les inquiétudes et la folie répétitive de l’humanité, nous avons certainement besoin d’art engagé, politique et même révolutionnaire. Mais nous avons aussi besoin d’un art charnel, vivifiant et qui cultive notre intériorité et nos désirs. Des multiples usages de la poésie, celui du bien-être de l’esprit (de l’âme diront certaines) n’est pas à négliger. Et Florence Noël fait partie de cette catégorie de poétesses, irradiant un amour de la vie si fort, si emprunt de beauté musicale, qu’il fuse hors des pages et ravi sa lectrice. Un peu de ravissement, est-ce trop demander à l’époque ?

Même rédacteur·ice :

Branche d’acacia brassée par le vent

de Florence Noël

photographies de Pierre Gaudu

Le chat polaire, 2020