critique &
création culturelle
Traité de défense
contre les pervers narcissiques à destination des jeunes filles de la noblesse

Pour Karoo, Thibault Scohier part à la découverte de la sélection 2016-2017 du

Pour Karoo, Thibault Scohier part à la découverte de la sélection 2016-2017 du

prix des Lycéens de littérature

: voici

Explosion de particules

de Valentine de le Court.

Difficile de parler d’

Explosion de particules

de Valentine de le Court. Avant tout parce qu’il s’agit d’un premier roman et que toute personne dotée d’un tempérament créatif sait à quel point les critiques peuvent être dévastatrices. Je commencerai par dire, par honnêteté, que le livre n’a visiblement pas été écrit pour moi et qu’il pouvait difficilement me toucher. Maintenant que cette prémisse est établie, je peux aborder le problème sans réserve.

Son côté « bric-à-brac » est l’une des choses qui m’a perdu. Sa première partie est constituée des souvenirs de Juliette et se concentre sur la décrépitude de la noblesse belge – c’est, étrangement, la plus agréable à lire, parce qu’on sent une vraie tendresse de l’auteure pour ce milieu moribond et d’une certaine manière magnifique. La seconde se concentre sur sa relation avec Marc, archétype du pervers narcissique qui attire Juliette dans ses filets et la fait dépérir. La troisième est une mini-intrigue policière sur les causes de la mort de la jeune femme. Les chapitres sont, qui plus est, entrecoupés d’une galerie de portraits des membres de sa famille ; ceux-ci n’ont aucun intérêt en eux-mêmes, n’éclairant presque jamais le cours central de l’histoire.

Si le style de Valentine de le Court était splendide, mes remarques seraient réduites au simple murmure du pinaillage. Malheureusement, il est parfaitement académique et, sans être pauvre, il trébuche quand il essaie de décoller de sa normalité. La narration étant complètement éclatée par la forme de l’ouvrage, il reste l’histoire. Celle d’une jeune fille innocente qui tombe amoureuse d’un maniaque, qui souffre et finira par se libérer grâce à l’intervention de Gabriel, un ami bien intentionné.

Le but d’ Explosion de particules est en fait de développer une théorie psychologique, celle du pervers narcissique, manipulateur hors pair, capable de transformer l’existence d’une femme en enfer kafkaïen. Et, s’il est clair que l’intention de Valentine de le Court est louable – prévenir ses lectrices des dangers potentiels de pareilles relations –, elle n’est absolument pas littéraire. Écrire un roman n’a rien à voir avec la pure prévention, avec un but purement utilitariste ; écrire une fiction n’est pas écrire un traité psychologique ou un essai sur les risques de la perversion narcissique.

C’est ici que le projet échoue, parce que les personnages sont subordonnés à l’objectif du livre. Juliette n’a que deux dimensions : son statut nobiliaire, revendiqué par l’auteur qui place en exergue du livre une citation d’Alphonse Allais, « Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Être de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne ça pose un lapin »1 ; et son statut de victime de Marc. Toute sa personnalité est construite à partir de ces deux données et on ne gardera jamais l’impression, en refermant le livre, qu’elle existe bel et bien au-delà des pages. Il en va de même pour Marc. À part une très rapide présentation de sa famille, et de sa mère en particulier qui semble être à l’origine de son comportement, on ne chercha jamais à comprendre pourquoi il est mauvais.

La réduction du problème de l’existence à celui de la psychologie me semble symptomatique de l’époque, et Explosion de particules le décrit involontairement. Juliette est prisonnière des attentes sociales qui pèsent sur elle. Sa famille veut la voir se marier et respecter une certaine forme de morale aristocratique. Ses amies veulent qu’elle s’amuse et qu’elle soit une femme « branchée ». Tiraillée entre ses allégeances contradictoires, Juliette est un exemple d’individu frappé par le vide. Son dialogue existentiel n’évoque que l’absence et le manque, et seules sa passion pour le violon et son amitié pour Gabriel parviennent à les contrecarrer. Or, si ce vide est un des éléments qui font d’elle une proie idéale pour Marc, l’auteure n’essaie jamais de remettre en question ce flétrissement, entretenu par le faste en toc des sorties des progénitures de la noblesse bruxelloise.

Valentine de le Court rate également l’enseignement principal de sa propre théorie : si Marc peut exister et si Juliette peut souffrir, c’est surtout parce que les gens autour d’eux sont soit affreusement superficiels, soit affreusement hypocrites. Toute la stratégie de manipulation de Marc se base sur la complicité passive de la société. Pourtant la solution des tourments de Juliette viendra de deux vains clichés : l’ami éclairé qui est en réalité son véritable amour évidemment impossible et une révélation de la vérité à ses amis qui se retournent finalement contre le vil manipulateur. La scène de cette révélation est sans doute la plus faible de l’ouvrage, elle ressemble à la fin d’un mauvais dessin animé : Marc révèle son plan diabolique à Juliette dans une alcôve, pendant que ses amis l’écoutent derrière un rideau et découvrent ainsi l’atrocité de ses mensonges. Il est puni pour son péché d’orgueil mais les « amis » en question ne le seront jamais pour leur pêché de bêtise, pour avoir cru un beau parleur plutôt qu’une fille qu’ils connaissaient depuis très longtemps.

Peut-être certaines personnes trouveront-elles dans la lecture de l’ Explosion de particules une leçon salutaire ; peut-être frémiront-elles de la descente en enfer de Juliette et de l’ultime retournement de situation (quoique fort prévisible) à la fin de l’ouvrage. Mais Valentine de le Court n’a pas su transcender son sujet, dépasser le simple cadre de la psychologie appliquée pour vraiment faire de la littérature et toucher à ce qui fait que notre société peut produire et entretenir des personnages aussi esseulés que Juliette et aussi délétères que Marc. Sans doute l’auteure n’avait-elle pas cette intention… Mais, et c’est un point de vue fort subjectif, je crois qu’un livre mérite d’être publié s’il participe, même très humblement, à notre compréhension de l’existence ou s’il parvient à nous nourrir esthétiquement. Aucun de ces deux objectifs n’est ici rempli.

Même rédacteur·ice :

Et dans la jungle, Dieu dansait

Écrit par Alain Lallemand
Roman
Luce Wilquin , 2016, 224 pages

Finaliste du Prix Cercle Chapel 2016.
Sélection du Prix des lycéens de Littérature 2016-2017.

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