Julie Jaroszewski réalise Qui es-tu Octobre ? , un long métrage qui se concentre sur la récente destitution de Compaoré et sur l’insurrection populaire qui l’a permise. Un mélange de force, de douceur et de profondeur que Thibault Scohier aura eu la chance de voir pendant le festival Filmer à tout prix .
Octobre 1987, Thomas Sankara, premier président du Burkina Faso, le « pays des hommes intègres », est assassiné. Il avait unifié le peuple burkinabé autour d’une idéologie sociale et éthique qui lui a survécu et qui court encore dans les veines du pays. Octobre 2014, le dictateur Blaise Compaoré est renversé par le peuple après vingt-sept ans de règne. À cette occasion, la figure de Sankara refleurit dans les bouches, sur les murs, les t-shirts. Il est la source du renouveau politique espéré avec la fin de l’autocratie. Deux mois d’octobre : dans leur écart s’est niché un long hiver politique et social.
Qui es-tu Octobre ? de Julie Jaroszewski se concentre sur la récente destitution de Compaoré et sur l’insurrection populaire qui l’a permise. Alternant images d’archives tournées au cours des manifestations et scènes de vie quotidienne d’une famille traversant les événements, la réalisatrice réussit parfaitement à emboîter la petite histoire dans la grande. Son documentaire ne parle pas seulement de l’imaginaire politique des Burkinabés, toujours influencé par la pensée de Sankara, mais aussi du quotidien, de la vie de tous les jours qui justifie qu’on se batte et qu’on se libère pour l’améliorer.
Les rues, la circulation, la nourriture, les repas sont filmés avec beaucoup de tendresse. La caméra s’arrête sur l’ordinaire, lui donne consistance et permet au spectateur de s’identifier humainement aux protagonistes d’un événement présenté, la plupart du temps, sous le prisme d’un journalisme d’information froid et statistique. Le spectateur se trouve projeté dans l’intimité d’une famille, d’une insurrection et d’un pays ; le film s’évertue à unir ses trois échelles et à nous faire ressentir l’inséparable volonté d’être digne dans les actes, grands ou petits.
La réalisatrice donne aussi une place centrale aux femmes. L’insurrection de 2014 a été initiée par une manifestation des femmes, fait exceptionnel dans l’histoire d’un pays traditionaliste – plus généralement, elles forment l’épine dorsale de la société burkinabée, assurant la stabilité des familles malgré le chômage et l’inflation. Comme le demande Julie Jaroszewski à l’issue de la projection : n’est-ce pas en soi un acte révolutionnaire ? Le combat du peuple est d’ailleurs incarné, au début et à la fin du documentaire, par une voix féminine dont le chant de douleur et d’espoir résonne comme une prophétie : une nuit, encore une nuit, à marcher contre le monde… Écho de l’hymne national burkinabé écrit par Sankara lui-même :
Filmer à tout prix- Oltremare Problème de mémoire
- Funérailles la mort comme tentative d’apaisement
- Qui es-tu Octobre ? Sankara est vivant
- Braguino ou la communauté impossible Affût sous haute tension
Et une seule nuit a rassemblé en elle
L’histoire de tout un peuple.
Et une seule nuit a déclenché sa marche triomphale :
Vers l’horizon du bonheur.
Une seule nuit a réconcilié notre peuple
Avec tous les peuples du monde.
Qui es-tu Octobre ? est aussi un film poétique. Jonglant entre des textes littéraires, des passages de discours de Sankara ou encore des extraits d’émissions de radio, les mots se déchaînent et le dire supporte son propre univers. On en vient à oublier l’absence de voix off , tant on est guidé par un flot de paroles, parfois anodines, parfois ciselées, toujours chantantes à leur manière. La tendresse des images et la poésie des dialogues et du son se mélangent et donnent au documentaire sa chaleur si particulière.
Julie Jaroszewski a créé une œuvre aux dimensions multiples : politique et critique sur la figure de Sankara et le rôle de la France dans son assassinat ; humaine et tendre sur les êtres concrets qui vivent et font les soubresauts de l’histoire. Une œuvre personnelle aussi, tant on sent que le projet n’était pas pour sa réalisatrice une simple réflexion intellectuelle mais bien une volonté de partager l’amour d’un pays connu. Qui es-tu Octobre ? marie la force, la profondeur et la douceur avec un talent indéniable.