J’ai eu la chance de voir, dans le cadre du Festival du cinéma méditerranéen de Bruxelles, Shooting Stars du réalisateur croate Ivan-Goran Vitez, une plongée drôle et folle dans l’histoire de l’ancienne Yougoslavie et de la Deuxième Guerre mondiale.
Ce qui étonne d’abord, c’est l’ancrage profond du film dans la culture croate. Il regorge de références historiques, folkloriques et linguistiques qui ne seront pas toutes accessibles à des Européens de l’Ouest. Cela lui donne une saveur parfaitement unique. Soyez par contre prévenus : il faut connaître un minimum l’histoire de la Croatie des années 1930 et 1940 pour pouvoir apprécier le long métrage. Par exemple, savoir qui est Tito, le leader de la résistance communiste, futur président de la Yougoslavie et aussi personnage dans le film ; savoir que les résistants, « les partisans », combattaient les Oustachis, un parti fasciste dirigé par Ante Pavelić et qui contrôlait le pays pour le compte de l’Allemagne.
Sachez aussi que malgré ces connaissances basiques, il y a des choses qui vous échapperont toujours, notamment dans la subtilité des différents niveaux de langage. Le travail sur la langue, d’ailleurs, est magnifique, pas besoin de parler croate pour s’en rendre compte : les dialogues sonnent, regorgent de jeux harmoniques et dysharmoniques. J’ai eu la chance d’avoir comme voisins de siège un couple de Croates qui commentaient certaines blagues et l’utilisation de certains mots spécifiques – ainsi j’ai pu me rendre compte de la densité de Shooting Stars et de la pauvreté, peut-être inévitable, des sous-titres (cela dit, les sous-titres anglais étaient de meilleure qualité que les sous-titres français).
Cette difficulté du film est pourtant une bonne difficulté, une difficulté exaltante. Plus il avance et plus on saisit le comique des situations, plus on s’immerge dans son univers culturel et plus on finit par l’apprécier. L’humour mobilise d’ailleurs souvent des références que nous connaissons aussi : comme ce magasin Heil Kitty glissé à l’arrière-plan dans un supermarché ou ce banquier-vampire croisé au détour d’une fosse à cadavres (et qui correspondrait plutôt, dans notre imaginaire, au vendeur d’assurance rapace). Le caractère fantasque des personnages justifie à lui seul le visionnage et le rire qui ne manquera pas d’éclater.
Je n’ai pas encore évoqué l’histoire parce qu’elle n’est qu’un prétexte : Ljiljan, un jeune fermier-poète, rejoint les partisans à la suite d’une série d’événements rocambolesques. Il s’élèvera ensuite du rang de jeune recrue un peu gauche à celui de commandant d’une petite troupe qui essaiera d’assassiner Hitler. Si l’absurde et le burlesque constituent le cœur de l’œuvre, celle-ci ne fait pas l’impasse sur l’horreur de la guerre, toujours présente comme une ombre, à l’arrière-plan ; comme ce « gag » récurrent des milices fascistes qui fusillent des gens dans le fond d’une scène, « gag » renversé à la toute fin quand ce sont les partisans qui fusillent des fascistes.
Le film rit noir mais rit tout de même et la folie de son histoire et de ses personnages est au service de la catharsis. Il évoque une histoire déchirante, la guerre, les massacres, mais trouve toujours une manière de le faire gaiement, presque dans l’insouciance. Le réalisateur n’hésite pas à projeter la folie du scénario dans ses techniques de réalisation. La caméra effectue des mouvements impossibles, certains plans se transforment dans un jeu de couleurs psychédélique ; plutôt que de gâcher ses effets, parfois cheap , le film préfère les assumés et les transformés en élément comique. Comme ses figurants-partisans disparaissent quand on a besoin d’eux (pour se battre) mais réapparaissent comme par magie dans une scène de course-poursuite pour se faire tuer à la place des héros en s’alignant parfaitement au moment où les miliciens se mettent à tirer.
Shooting Stars est une comédie unique et charmante, profondément poétique et dont la complexité, pour des non-Croates, ne fait que le rendre encore plus fascinant. Un film à voir et à revoir, car vous avez sans aucun doute manqué au premier visionnage un petit quelque chose, une référence négligemment disposée à l’arrière-plan !
https://vimeo.com/154042486