Karoo a le plaisir de présenter le recueil de poésie de Christine Guinard, Si je pars comme un feu , paru à l’Arbre à Paroles ; une ronde autour de la mémoire et des mots.
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Si je pars comme un feu se lit vite, à la cadence de l’incendie. L’auteure, en choisissant ce titre, a collé à la langue : son écriture a définitivement quelque chose de chaleureux, de consumant ou de consumé. Plutôt qu’un feu qui part, on a l’impression de regarder un brasier bien entamé, plein de cendres et de bois carbonisé. Les flammes couvent, se font braises – c’est l’image de la mémoire, ou plutôt, la mémoire en images d’étincelles. Les souvenirs rougeoient, sont dans le clair-obscur du crépuscule ; parfois, dans un repli, quelque matière est tout à coup consommée, et les flammes dansent, dessinent et peignent.
Christine Guinard parle de la vie, de la nature, des paysages ; son point de vue évolue, traverse et les mots le suivent. Sa poésie est sautante, cabriolante. On pourrait dire, parfois, assez virtuose. Mais elle garde toujours une sorte de mystère, de non-intelligibilité de la chose dite. Le lecteur doit faire un double effort d’imagination : d’abord, il y a l’intimité de la langue, sa compréhension des mots et les significations qu’il va apporter de lui-même ; ensuite, il y a la toile de fond, esquissée par C. Guinard, son sens à elle. C’est le mélange des deux, la confrontation de deux imaginaires poétiques qui fait le plaisir de la lecture de ce recueil.
La mémoire est son thème central. Se souvenir c’est écrire, osera-t-on. Et comme la mémoire n’est pas une chose fixe, mais plutôt un magma, parfois trompeur, parfois traître, l’auteure n’offre pas ses souvenirs sur un plateau. Elle invite à plonger, sans retour, dans une expérience de l’esprit. Ou dans l’expérience d’un autre esprit. Qu’elle évoque une promenade à la montagne ou les facéties d’un enfant joyeux, c’est tout le processus sensitif-imaginatif qui donne la sève de Si je pars comme un feu . Nous sommes amenés à transformer les mots lus en sensations. Le mot « imaginer » veut dire précisément : animer des images, les faire fondre, boire le métal en fusion et sentir la chaleur dans son ventre.
C. Guinard préfère la prose au vers et son vers est forcément libre. Il me semble que la forme compte peu et que les mots comptent pour tout. Leur agencement n’est là que pour le rythme, très vif, du recueil. De la même manière, les poèmes, seuls, ont peu de sens. Ils n’existent que dans un continuum, une lancée, un élan – arrive un point, dans la lecture, où les yeux ne voient plus les espaces, les retours à la ligne, les pages qui tournent, les séparations. Un magma on vous a dit. Pour toutes ces raisons, la poésie de C. Guinard est exigeante et, sans doute, demande des habitudes poétiques.
L’abstraction qui lui est propre, et qui permet le chant des mots, est peut-être la seule réserve qu’on peut émettre. Réserve non pas absolue et même pas particulière à l’auteure, mais plutôt, réserve liée au statut contemporain de la poésie : comment écrire dans l’optique d’être lu ? Le lectorat de poésie a rarement été aussi restreint – les amateurs n’auront aucun mal à lire et à apprécier C. Guinard – mais les autres ? Face à un nouveau recueil je ne peux cesser de me poser la question : n’y a-t-il pas quelque chose à faire pour démocratiser la poésie ? Et l’abstraction n’est-elle pas l’une des dimensions d’un problème bien réel d’accessibilité mais dont les tenants et aboutissants nous échappent ?
Le lecteur, s’il cherche à se reposer à la chaleur des mots et s’il aime regarder les flammes lécher l’air en dansant, aura plaisir à la compagnie de Si je pars comme un feu . Il pourra s’y perdre, s’amuser dans un labyrinthe aux murs superbes, aux détours passionnants et aux flambeaux brillants de mille feux. Mais s’il cherche la transparence, la sensation cristalline, la voix claire du monde, il sera peut-être déçu. Qu’importe ! Puisque le feu s’offre à nous, ne rechignons pas. La poésie est précieuse. Alors goûtons-la !
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