C’était 2018 (5)
2018 en une série de coups de cœur ? C’est la rétrospective culturelle par la rédaction de Karoo ! Thibault Scohier retrace ses perles de l’année écoulée.
Ceci est un top désordonné. Comme il m’était impossible de les classer, les œuvres sont présentées dans l’ordre chronologique (à peu près).
L’année commençait fort avec le dernier long métrage de Paul Thomas Anderson. Phantom Thread ou l’art de parler de la complexité à travers une réalisation concise, soignée et d’une fluidité caressante. Les personnages d’Anderson ressemblent à ceux des pièces d’Ibsen : tranchants, souvent drôles malgré (ou grâce à) leurs tares et leurs faiblesses. La scène de l’omelette aux champignons est sans doute celle qui m’a le plus marqué au cinéma en 2018 et l’exploit est d’autant plus grand que l’énoncé de sa description est trivial. En une image : le sourire de Daniel Day-Lewis amoureux de sa fragilité totale et de sa souffrance à venir. Pour aller plus loin, on peut lire l’excellent article de mon ami Adrien Corbeel.
Ce qui n’a pas de prix d’Annie Le Brun (mai)
Un essai est parfois plus littéraire qu’un roman ou un récit. C’est le cas de Ce qui n’a pas de prix d’Annie Le Brun. Livre sur l’art et la beauté, sur l’art de faire du beau et sur la marchandisation qui fait du laid, l’essai déroule ses arguments en pratiquant l’esthétique. Phrases et réflexions sont superbes, même quand elles s’opposent au lecteur.
C'était 2018Annie Le Brun réussit l’exploit de défendre l’existence de la beauté sans jamais invoquer de philosophie conservatrice ; au contraire, ses inspirations sont libertaires, situationnistes, tournées vers la création… Une preuve supplémentaire que la binarité est une illusion intellectuelle et qu’on peut défendre le beau sans lui adjoindre de majuscule.
La Vie miniature des ouvriers de Jaune (cet été)
On pourrait la manquer, passer à côté, entourée qu’elle est par des œuvres monumentales. Au deuxième étage du parking de l’ancien Delhaize de la chaussée de Waterloo, sur le pourtour d’un muret, se cache la fresque de Jaune. Elle représente des dizaines d’ouvriers, reconnaissables à leurs gilets jaunes (écho prophétique) ; certains s’amusent, d’autres travaillent, se battent, s’aiment. Le travail du street artist est d’une finesse et d’une humilité forçant le respect. Une fois découverte, cette vie miniature peut se contempler de longues minutes, pour découvrir toutes les situations mises en images et, surtout, les jeux du créateur avec son environnement : comme cet ouvrier « caché » au bord du mur, conscient d’être cherché par le visiteur ou alors cet autre, qui s’accroche à un tuyau bien réel pour effectuer un saut acrobatique.
Under the Silver Lake de David Robert Mitchell (septembre)
Film irritant, foutraque, plein de citations, directes ou esthétiques … Film « méta » sur l’artificialité de la pop-culture et de la nostalgie qu’elle charrie. David Robert Mitchell jongle avec les genres – policier, fantastique, horreur – avec une aisance fascinante. Pour l’apprécier, il faut accepter son incohérence ; le vivre comme un trip, sans rien attendre, surtout pas de réponse, et avec un risque sévère de gueule de bois. Une scène : celle du pianiste-compositeur, renversante et dérangeante, une allégorie de notre rapport à la culture héritée. Un bijou miroitant qui gagnera les cœurs en les hypnotisant – pragmatistes et autres terre-à-terre s’abstenir.
Hippocrate (la série) de Thomas Lilti (novembre)
Une vraie surprise, cette série de Thomas Lilti. Non pas dans son sujet ou son titre… Lilti continue à explorer, comme dans ses films, le monde de la médecine contemporaine en France. Mais une surprise par rapport à un paysage sériel français de plus en plus américanisé. Si Hippocrate ne révolutionne pas la série francophone, ni dans la forme ni dans le fond, elle donne le canon d’une certaine forme de récit social, réaliste et populaire. Elle rappelle, ironie du sort, les premières saisons d’ Urgences , dont on a oublié la critique initiale et un peu poisseuse des coupes budgétaires et de la concurrence hospitalière. Sans grand effet, misant sur les dialogues et le jeu de ses acteurs, Lilti raconte humblement l’histoire d’une poignée de personnages devenus récurrents dans ses films. Et ça marche.